dimanche 16 juin 2019

Mister Miracle : le spleen du super-héros

A lire : Dieu en guerre, super-héros adulé et père dépressif... voici Scott Free aka Mister Miracle. Urban Comics publie un album éponyme qui regroupe les 12 volumes écrits par Tom King et dessinés par Mitch Gerads. Un récit complet foisonnant et atypique.



Je ne connaissais pas Mister Miracle. Et pourtant, il a été créé par l'un des grands talents de la bande dessinée, j'ai nommé Jack Kirby. Mais je suis plus familier de son travail chez Marvel que chez DC Comics. Toujours est-il que Mister Miracle fait partie de la saga du Quatrième monde, créée dans les années 1970. Un monde dans lequel  New Genesis et Apokolips, deux planètes habitées par des dieux, s'affrontent sans merci. Pour mettre fin au carnage et instaurer la paix, le Haut Père de New Genesis et Darkseid, le tyran d'Apokolips, décident d'échanger leurs fils. Orion, le fils de Darkseid, bénéficie d'une éducation épanouie tandis que Scott Free, le fils de Haut Père, est soumis à des mauvais traitements. Après de nombreux échecs, il parvient à s'échapper de son enfer et rejoint la Terre où il devient un maître de l'évasion sous le nom de Mister Miracle. Ses exploits fascinent le public. En privé, il vit avec Big Barda, une grande guerrière (par la taille et la force), elle aussi échappée d'Apokolips.

Planche tirée de la version originale.

Voilà une présentation succincte des personnages, qui constitue le début de l'album. C'est d'ailleurs le talent de Tom King de parvenir à mettre rapidement au parfum les lecteurs qui, comme moi, découvrent cet univers. Puis place à un récit qui alterne les événements sur les trois planètes : la guerre qui a repris entre New Genesis et Apokolips ; et la vie quotidienne sur Terre. Chaos et bonheur simple. Big Barda fait front, à l'inverse de Scott. Les tortures passées, les combats sanglants, les shows pour le public, les relations de couple... Scott rumine, perd pied, tombe progressivement dans la dépression.

Planche tirée de la version originale.

Tom King raconte les souffrances de ce trentenaire un peu paumé avec justesse et sensibilité. Il n'enferme pas son personnage dans la posture du grand tourmenté, préférant relater son mal-être par petites touches. Et sans violons. L'humour est d'ailleurs omniprésent - comme lors de cette séquence d'action étirée sur plusieurs pages et pendant laquelle Mister Miracle et Big Barda discutent du réaménagement de leur appartement. Le scénariste parvient également à retranscrire les scènes de la vie conjugale, avec ses petites joies et ses petits tracas, ses moments de tendresse, d'intimité et de doutes. Récompensé par l'Eisner Award du meilleur scénariste en 2018, Tom King avait déjà prouvé tout son savoir-faire en la matière avec les albums La Vision (Panini Comics).

Planche tirée de la version originale.

Pour illustrer la dépression de Scott, les auteurs ont choisi de dérouler l'histoire sur des planches de 9 cases verticales au sein desquelles Mitch Gerads duplique parfois ses dessins ou les modifie à peine. Le cadre de la scène reste fixe. D'où une impression de temps dilaté, de réalité engluée qui traduit bien l'état d'esprit du héros. Mais le dessinateur sait également s'affranchir de cette organisation contraignante pour proposer des compositions originales, avec des dessins qui se répondent sur plusieurs cases. Son trait réaliste rend l'histoire véridique tandis que les expressions qu'il donne aux personnages atténuent parfois la noirceur du propos et contribuent à rendre attachante cette famille qui lutte pour sa survie dans plusieurs mondes. 

Planche tirée de la version originale.

Mister Miracle ne fait pas partie de ces comics de super-héros qui misent tout sur les séquences spectaculaires. Dans le fond comme dans la forme, c'est un album qui séduira les lecteurs exigeants. On en attendait pas moins du duo qui nous a offert Sheriff of Babylon

Anderton

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