lundi 1 décembre 2025

L'Accident de piano : Dupieux met tout le monde désaccord

L'accident de piano Blu-ray CINEBLOGYWOOD

Avec une régularité qui suscite autant l'admiration que le vertige, Quentin Dupieux nous propose quasiment un film par an depuis 2018 (aucun en 2021 mais deux en 2022, on ne va pas chipoter). Rien de bâclé, aucun ronron. A chaque fois, il nous surprend, nous déroute, nous emballe. C'est à nouveau le cas avec L'Accident de piano, que Diaphana sort en vidéo.


Le gars est fort. Il a créé un univers unique, à la fois reconnaissable d'un film à l'autre, et en même temps toujours renouvelé. Cette fois-ci, il nous emmène dans la retraite montagnarde de Magalie et Patrick. La première est une star des réseaux sociaux, le second son assistant personnel. Il est dévoué, elle est odieuse. Patrick a trouvé un chalet isolé pour faire souffler sa boss mais pas moyen d'échapper aux fans qui viennent la traquer jusque sous ses fenêtres. Et puis, il y a cette journaliste qui détient une info compromettante sur "Magaloche" : elle est prête à ne pas la dévoiler en échange d'une interview. Ce serait un gros scoop tant l'influenceuse ne se livre que dans ses vidéos... extrêmes.

Bon, faut pas en dire plus. Avec Quentin Dupieux, c'est tellement bon de se faire aspirer dans une histoire à la fois hyper-réaliste et déconcertante, comme un rêve qui nous plonge dans une situation familière mais aussi un peu inquiétante, qui bascule sans crier gare. Le cinéaste maîtrise son art de bout en bout : du scénar à la mise en scène, en passant par la musique - quelques notes de piano désaccordé qui contribuent à instaurer une ambiance glauque et menaçante (Chilly Gonzalez se met aussi au clavier pour un thème davantage chargé en émotion). C'est aussi un grand directeur d'acteurs, capable d'associations qui semblent a priori improbables. Et à chaque fois, ça marche.

Le risque d'Adèle

Ici, Adèle Exarchopoulos campe une Magaloche insupportable, méchante. La comédienne ne cherche pas à rattraper le coup. Pas de regard qui se voile pour exprimer un traumatisme tu. Non. Elle y va à fond dans la mocheté, des sentiments comme de l'apparence - coupe au bol et ratiches équipées de bagues dentaires. Une transformation qui l'a d'abord inquiétée. Elle le confie dans un entretien de l'équipe du film avec le public d'un cinéma : dans ce bonus, elle s'est même dit qu'elle assumait de prendre le risque que sa carrière subisse un coup d'arrêt. C'est tout l'inverse. Exarchopoulos prouve qu'elle est une très grande interprète. Face à elle, Jérôme Commandeur joue de sa bonhommie avant de révéler la noirceur de son personnage, prêt à subir toutes les humiliations pour gagner sa croûte. Même fond mauvais chez la journaliste, jouée par une Sandrine Kiberlain faussement solaire, et chez le fan que Karim Leklou drape dans une bêtise crasse. 

C'est un festival d'ego(ïsmes) et de saloperies. Dans le bonus, Dupieux précise toutefois qu'il n'a pas voulu signer une charge contre les réseaux sociaux. Et c'est vrai qu'il force à peine le trait, renvoyant dos à dos les personnages, tous autocentrés, sans aucune morale. D'ailleurs, Dupieux nous confronte à l'air vicié du temps mais il ne cherche pas à faire la morale : il se sert des pitoyables marionnettes de ce sordide théâtre pour dérouler une comédie sombre qui va virer au thriller avant de prendre une tournure encore plus radicale. Drôle et méchant. Bravo à Hugo Sélignac (Chi-Fou-Mi Productions) de donner au cinéaste les moyens de tracer sa route à flanc de précipice et tutoyant les sommets.

Anderton

   

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