Pages

jeudi 17 juillet 2025

Gwendal Padovan : " Les films de Wajda sont plus contemporains que jamais" (3/3)

L'Homme de marbre Andrzej Wajda CINEBLOGYWOOD

Derniers titres en date édités par Intersections : quatre films majeurs du cinéma polonais, dont deux signés Andrzej Wajda. Pourquoi redécouvrir l’œuvre d’un des cinéastes majeurs de l’histoire du cinéma est plus que jamais indispensable aujourd’hui ? Eléments de réponse avec le fondateur d’Intersections, Gwendal Padovan (3/3)


Intersections vient d’éditer un pack polonais, avec deux titres d’Andrzej Wajda, L’Homme de fer et L’Homme de marbre, aux côtés de deux titres jamais édités en blu-ray, L’Interrogatoire, de Ryszard Bugajsk (1982) et Ouvriers 80, de Andrzej Chodakowski et Andrzej Zajączkowski (1980). Pourquoi le choix de ces titres ?

J’ai une forte appétence pour le cinéma polonais, et surtout celui de l’anxiété morale de Kieslowski. Mais Wajda possède une acuité politique et sociale comparable à celle de John Sayles. Il a pris des risques au moment où le contexte historique et politique de la Pologne le permettaient. Ce qu’il y a de très beau et très fort dans son cinéma, c’est que ce sont des films populaires, au meilleur sens du terme. Certes, ce sont des films assez bavards, mais ils sont ludiques, rythmés, extrêmement lucides, qui possèdent une bonne dose d’humour. L’Homme de marbre et L’Homme de fer possèdent des touches d’humour qu’on n’imagine pas. Au cours de sa longue carrière, Wajda a adapté son style en fonction de son époque. 

Par exemple ?

A partir des années 70, il fait une très nette évolution : rien de comparable entre La Terre de la grande promesse et L’Homme de marbre. Les différences en termes de mise en scène sont assez marquantes. Elles proviennent de la proximité qu’il entretenait avec les cinéastes du groupe de production qu’il avait formé, X. C’est pour cela que son cinéma est resté vif, fluide, moderne. Aujourd’hui, peut-être que certains ne se demanderont pourquoi aller voir un film signé Wajda daté des années des années 70. Eh bien, ces films n’ont pas vieilli ! En termes de mise en scène, de rythme, ce sont de films contemporains – et encore plus thématiquement : le contrôle de l’information, la propagande. Ces mécanismes se retrouvent aujourd’hui, à front renversé. Ces deux films de Wajda, ainsi que ceux qui l’accompagnent, questionnent nos regards, la propagande, les médias, les systèmes politiques, et la place qu’ils accordent à l’individu. Ce sont des films citoyens.

Pourquoi ne pas les avoir proposés en coffret ?

C’était mon idée de base. Il ne devait y avoir que 3 films, les Wajda et L’Interrogatoire. Mais est venu se greffer Ouvriers 80, documentaire restauré en 4K, en travaillant sur le projet. Si on l’avait fait, cela aurait généré des frais supplémentaires en termes de référencement et de marketing. Nos coûts de production print sont énormes : des livrets, de 20 à 40 pages ; l’impression, le maquettage, le graphisme, le papier, etc. Je voulais l’intituler : 1976-1982, entre ouverture et fermeture. Le principal, c’est que tous ces titres soient disponibles en même temps, et qu’ils viennent s’éclairer les uns les autres. Ouvriers 80 a été tourné pendant les événements de la grève de Gdansk, et Wajda en utilisera partiellement des extraits pour L’Homme de fer ; L’Interrogatoire a été produit par le groupe X, dirigé par Wajda, mais qui a fait exploser ce groupe : le tournage s’est achevé au moment de l’instauration de la loi martiale (fin 1981), et le nouveau régime a finalement refusé de sortir (il ne sortira en France qu’après sa présentation au Festival de Cannes en 1990, soit près de 10 ans après sa réalisation). Wajda s’exile alors en France pour tourner ce qui pour moi constitue son meilleur film, Danton, l’un des films les plus exceptionnels jamais tournés, qui sent la peste, le choléra, la colère, la rage et la fureur. Il reflète en cela l’état d’esprit de Wajda qui a switché en quelques mois : L’Homme de fer est un film lucide, certes, mais optimiste, tourné pendant une période d’ouverture ; il écrit l’Histoire en même temps qu’il la documente. Quelques mois plus tard, c’est fini. Wajda met toute sa frustration et sa peine et sa colère dans Danton. En regardant à la suite L’Homme de fer et Danton, on plonge dans l’état d’esprit de Wajda à cette époque.

Quels matériaux avez-vous utilisés ?

Les Polonais ont un système administratif lourd, mais très performant ! J’avais toutes les informations pour retrouver les oeuvres et l’état de leur restauration. Les Wajda ont été restaurés sous sa supervision – donc, aucune mauvaise surprise, les restaurations sont magnifiques. L’Interrogatoire bénéficie d’une restauration plus récente, très propre également. Ouvriers 80 a été restauré en 2018 en 4K pour un documentaire 16 mm ! C’est quelque part le meilleur making of qui soit de L’Homme de fer. Et une véritable exploration de la Pologne de l’intérieur.

Suivez Gwendal Padovan sur LinkedIn

Travis Brickle


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire