Nouveau venu parmi les éditeurs vidéo de titres de patrimoine, Intersections se distingue par son exigence éditoriale, la qualité de ses titres et de ses bonus. Pourquoi se lancer aujourd’hui dans un marché à la fois encombré et en perte de vitesse ? Sur quelle ligne éditoriale ? Eléments de réponse avec le fondateur d’Intersections, Gwendal Padovan (1/3).
Quand a été créée la société ?
Intersections a été créé administrativement en 2022. Les premières éditions sont sorties en mars 2023. L’idée était de prendre place dans un marché qui, en France, a la chance d’être extrêmement vivant avec beaucoup d’éditeurs, certains avec une grande force de frappe. En Espagne, en Italie, ou au Portugal, le marché vidéo est très faible, surtout en patrimoine. Certes, chaque pays défend, même mollement, son patrimoine national. Mais au global, le marché vidéo s’est écroulé, même en France.
Pour quelles raisons principales ?
Le DVD a constitué un moment, bien plus fort que celui de la VHS ou du Laser Disc, dont l’âge d’or se situe à la fin des années 1990. A l’époque, offrir un DVD, c’était un réel cadeau. Aujourd’hui, pour offrir un DVD, il faut d’abord se renseigner au préalable si le destinataire possède toujours un lecteur ! D’autant que certains formats comme le DVD ont été promus par l’industrie du jeu vidéo. La PS3 a longtemps constitué un des principaux lecteurs de DVD. Aujourd’hui, les nouvelles consoles n’ont plus de lecteur optique ! Même chose pour les box internet, les ordinateurs. C’est aujourd’hui un acte de spécialisation.
Mais tout n’est pas noir. Ca l’est pour les majors – qui ont rebondi par ailleurs. Pour les indépendants, les chutes les plus faramineuses se portent sur le marché du neuf et les blockbusters : piratage, etc. C’est pareil tous les ans. Sauf pour le patrimoine qui constitue une exception.
Pourquoi ?
Le patrimoine est très bien représenté en France. Chaque pays a ses particularités : en Allemagne, on est fans de Bud Spencer et Terence Hill et de giallo, notamment. En Angleterre, le marché du film asiatique est très vivace. En France, WildSide et HK Video ont été des pionniers en la matière - puis, après une pause, Spectrum ou Le Chat Qui Fume ont repris le flambeau. J’adorerais sortir quelques titres. Mais je ne le fais pas pour l’instant, car d’autres éditeurs se sont positionnés avec succès sur ce marché. Même chose pour le giallo : je ne vais pas marcher sur les plates-bandes d’éditeurs déjà sur ce marché.
Vous ne faites que du Blu-ray : est-ce un choix volontaire ?
Il y aura de l’UHD à l’avenir. Idéalement, je souhaiterais tout sortir en UHD, mais ce n’est pas possible. C’est l’une des limites du marché français. Les Américains ont un marché 5 à 10 fois plus important que celui de la France, en termes de consommateurs réguliers. Leurs marges ne sont pas les nôtres. Heureusement qu’on a le CNC en France. Vendre 1000 unités d’un titre patrimoine en France, c’est un succès ; aux Etats-Unis, certains titres peuvent monter jusqu’à 10 ou 12 000 exemplaires.
A quoi tient votre ligne éditoriale, très affûtée ?
Je n’oublie pas d’où je viens : ma propre cinéphilie ! J’ai plus ou moins tâté du cinéma, laissé tomber, puis suis revenu à la vidéo, car je constatais qu’il y avait des manques à combler. J’ai commencé par le cinéma australien – Dingo et Mad Dog Morgan. Puis, deux films américains, dont Matewan. Pour ce dernier, cela a été long à mettre en place : deux ans entre les premiers contacts pour m’enquérir des droits et sa sortie en avril 2024. Pour le prochain Sayles, Baby it’s you, j’étais en tractations dès 2021 avant même de créer Intersections ! Le film avait connu une édition vidéo aux Etats-Unis, mais un mauvais master et sans aucun bonus. Il sortira donc en septembre 2025, soit 4 ans après les premières prises de contact. Pour les titres polonais, peu d’éditeurs travaillent ce cinéma. On sort les films en blu-ray.
Intersections cherche à trouver sa place en ayant à terme une ligne éditoriale, qui peut paraître décousue aujourd’hui. A terme, j’aimerais qu’on puisse dire : "Ce titre, je le verrais bien chez Intersections" ou "Qu’il soit chez Intersections ne m’étonne pas".
Pourquoi ce nom ?
Avec des amis, j’avais hésité à monter une structure d’édition video il y a une quinzaine d’années. Je n’avais ni les ressources financières, ni les contacts, c’était compliqué. Et à l’époque, les pressages étaient très élevés. J’ai cherché un nom qui soit compréhensible à l’international. Le terme en soi est suffisamment parlant : être à la fois à la croisée des genres, des époques, des cinématographies. Je ne veux pas me fermer de portes ! Pour l’instant, on n’a pas édité de cinéma de genre – ce n’est pas pour autant que je n’apprécie pas le cinéma de genre. Il y en aura ! Je veux pouvoir explorer tout ce qui m’intéresse, car tout vient de là, de ma propre cinéphilie.
Justement, quelle est-elle ?
Ma cinéphilie est née de la VHS, de Canal plus. J’ai eu la chance d’avoir des parents cinéphiles qui enregistraient toutes les diffusions en VO sur Canal, puis ensuite mes propres VHS. Et j’ai grandi avec l’explosion du DVD et des imports. En tant que consommateur, je ne trouve pas tout mon compte avec les seules éditions françaises. Aujourd’hui encore, la moitié de mes achats sont de l’import, soit parce qu’ils n’ont été édités en France, soit parce les éditions sont meilleures à l’étranger.
Comment se passent les négociations avec les studios ?
Les négociations avec les studios sont parfois très difficiles – et pas seulement pour des questions de droits. Je suis en train de dealer avec un studio, à partir d’une copie personnelle d’un titre détenu par le réalisateur. Les à-côtés techniques et administratifs sont extrêmement lourds ! Le studio détient une très mauvaise copie de ce titre. Techniquement, je pourrais sortir un blu-ray restauré à partir du négatif de la copie détenue par le réalisateur. Je travaille le studio au corps, mais c’est très long !
Intersections, combien de divisions ?
Une seule personne ! Mais j’ai beaucoup de collaborateurs. On ne fait jamais rien tout seul.
Donc, dans cette configuration, comment gérer le rapport au temps ?
Chaque film est sélectionné personnellement parce que je sais que je vais y passer beaucoup de temps. Première phase : l’acquisition. Est-ce que je veux vraiment ce film ? Quoi qu’il arrive, je passe dans le meilleur des cas six mois sur un film. Cela peut aller jusqu’à deux ans ! En moyenne, j’y passe entre 9 et 12 mois. Je ne peux pas me permettre de me lancer sur des films vis-à-vis desquels je ne serais pas passionné. J’ai un planning bien chargé jusqu’à la fin 2026. En tant qu’éditeur, je m’implique comme un réalisateur s’implique pour défendre ses films. Mais c’est la voix de mes collaborateurs que je ferai porter, pas la mienne.
Chaque titre, à combien d’exemplaires les pressez-vous ?
Environ 1000 exemplaires.
Comment sont-ils distribués ?
J’ai fait un choix : accompagner les œuvres sur du temps long. Cela nous permet d’établir toute notre communication au moment des pré-commandes et de la sortie des films, tant qu’ils sont disponibles chez Intersections et auprès de notre mentor, Le Chat Qui Fume. Une période d’environ 3 mois. Deuxième étape : accorder à chacune des boutiques partenaires leur moment. Et rendre disponibles nos titres uniquement chez eux pendant quelques mois – une durée conséquente. Cela permet d’installer la communication, d’accompagner les titres : les boutiques parlent des films, nous parlons des boutiques. C’est un cercle vertueux.
Quels types de boutiques visez-vous ?
On vise les boutiques indépendantes – type Metaluna, Potemkine, Gibert – mais aussi des librairies - Ombres blanches à Toulouse, celles de la Cinémathèque française ou de l’Institut Lumière. Pour certains titres, comme Dingo, il était logique d’être disponible ailleurs : c’est un titre très musical, avec une BO Miles Davis-Michel Legrand, il était donc disponible chez certains disquaires.
Vous faites donc un travail de proximité avec les points de vente ?
Oui, bien sûr. On ne lâche rien. Puis vient le troisième temps : celui des grands distributeurs, type Fnac, Cultura, , etc. Cela permet de toucher un autre public. Notre but, c’est d’aller vers le public : que ce soit en ventes directes ou via des boutiques spécialisées, on reste dans un rapport de proximité entre l’éditeur et le public potentiel ; via les grandes enseignes, on essaye de toucher un public plus large, moins spécialisé. Cela permet de donner à nos titres une autre visibilité, complémentaire et élargie.
En musique, littérature, cinéma ou vidéo, la dictature du présent m’horripile, face à une telle offre disponible. A mon échelle, c’est ce contre quoi j’essaye de lutter, avec du temps long pour accompagner les titres ; en proposant des séances, comme celles de Mad Dog au Festival du cinéma fantastique de Strasbourg, lors d’une rétro Ozploitation ; lors de la convention cinéphile Arvor de Rennes, nous avions projeté Matewan. On essaie d’organiser à notre échelle des événements pour mettre ces oeuvres à disposition du public. Au final, le plus important, ce sont les œuvres, qui pour des raisons diverses ont été un peu oubliées, soit en raison d’un gap générationnel, d’indisponibilités liées à une censure, du matériel perdu ou endommagé. Il n’y a pas de mauvais moment pour redécouvrir les films !
D’où vient la proximité avec Le Chat Qui Fume (LCQF) ?
Stéphane Bouyer, son fondateur, est quelqu’un de très généreux, de son temps, de son expertise, de ses relations, de la façon dont il a facilité nos débuts. LCQF est devenu une sorte de hub. C’est à notre avantage partagé : je n’édite pas le même cinéma que LCQF, on ne se tire pas dans les pattes, et on attire potentiellement un public différent l’un l’autre. Et au départ, j’étais admiratif du travail de Stéphane : il a proposé les plus belles éditions en France de Possession, des premiers Lucio Fulci, notamment.
Vos projets ?
On vient de signer pour un film grec – qui n’est pas un Angelopoulos ! [Sans un cri, de Kostas Manoussakis, NDLR]. On finalise deux films français pour la fin de l’année. L’année prochaine, beaucoup de films américains, et quelques films italiens en négociation. J’espère qu’au bout de 10-15 films, on verra entre tous ces titres une sorte de fil rouge invisible !
Suite de l'entretien mercredi !
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Travis Brickle

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