mardi 2 juin 2020

VS. : rap battles en mode survie

En VOD et achat digital : Avec VS., le cinéaste britannique Ed Lilly nous plonge au sein de la petite communauté des adeptes de rap battles. Un film à base de popopop mais pas que. Je développe.



D'abord, il faut se débarrasser de deux préjugés. Le premier : VS. serait la version british du 8-Mile (Curtis Hanson, 2003) avec Eminem. Le second : VS. raconte l'histoire d'un Blanc alors que les rap battles concerneraient davantage les Noirs. Oui, le film nous fait entrer dans la vie d'Adam, un jeune homme confronté à des problèmes familiaux et qui parvient à se reconstruire grâce aux rap battles, comme Jimmy à Detroit. Reste que l'outcast qui s'épanouit grâce à l'art, c'est une thématique récurrente dans le cinéma. Quant aux duels de rimes hip hop, c'est un phénomène largement multiculturel au Royaume-Uni, comme en atteste cet excellent article sur UKHH.

Revenons-en donc au film. Abandonné par sa mère lorsqu'il était jeune enfant, Adam trimbale sa rage et son autodestruction de familles d'accueil en familles d'accueil. Son éducateur l'envoie alors dans un nouveau foyer, à Southend, une petite station balnéaire à l'est de Londres. Sur place, Adam se lie d'amitié avec Makayla, qui l'invite à une soirée de rap battle qu'elle a organisée. C'est le déclic pour Adam, un garçon mutique et renfermé mais qui sait rendre les coups et balancer des vannes à ses adversaires. Makayla l'initie à cet art urbain qui canalise la violence physique de ses pratiquants tout en incitant à une certaine brutalité qui peut être tout aussi destructrice. Adam se taille vite un nom dans le milieu mais ses démons le rattrapent.


Fin connaisseur de cet univers, Ed Lilly a écrit un scénario (primé au Festival de Dinard) qui évite clichés et poncifs. Il trouve le bon équilibre entre les prestations scéniques et les tranches de vie de ses personnages. Lesquels portent des fardeaux ou des secrets bien lourds pour leurs jeunes épaules. Autant d'occasions d'évoquer, de questionner et d'inviter le spectateur à réfléchir sur ce qui fait notre identité - famille, sexualité, communauté... qu'elles soient celles d'origine ou celles que chacun se choisit. Pour autant, Lilly n'en fait pas des tonnes, refusant tout misérabilisme. Ces jeunes cassés ou mal dans leur peau sont également plein de vitalité. Et ils le prouvent lors de combats épiques.

Adam and the angst

Connor Swindells (Sex Education) campe un Adam qui oscille en permanence entre doute et agressivité. Il a le physique de l'emploi : son visage tout anguleux semble révéler le parcours chaotique de son personnage. Surtout, il sait traduire à l'écran la tempête des sentiments qui assaille Adam. Et lorsque les digues cèdent, le comédien révèle toutes les nuances de son jeu. Dans le rôle de Makayla, Fola Evans-Akingbola apporte pour sa part fraîcheur et énergie, le tout avec beaucoup de naturel. Une opposition de styles donc, mais qui fonctionne très bien à l'écran.

L'autre belle surprise du film est son esthétique, soignée. Lilly nous épargne les rues cafardeuses d'une ville britannique sous la pluie. Le choix de placer l'action de son film à Southend confère une originalité au film et lui apporte des couleurs vives, notamment celles des néons la nuit. Il y a aussi de belles idées de mises en scène, comme cette séquence où Adam décide d'aller retrouver sa génitrice (Emily Taaffe), qui officie dans un salon de coiffure. Elle, enjouée, ne se doute de rien ; lui, lèvres pincés, se retient d'exploser. Echanges de regards dans le miroir. Et c'est en lui coupant les cheveux que la mère se rend compte qu'Adam est l'enfant qu'elle avait abandonné. Une approche toute en sensibilité qui procure une forte émotion.

Evoquons enfin les battles, filmées avec dynamisme, et qui donnent lieu à des échanges brillants, drôles, durs, dont les rimes claquent parfois comme des coups de fouet. A noter que le bad guy, Slaughter, est interprété par une star du milieu, Shotty Horroh. La bande-son du film est évidemment top.

Distribué par Wild Side, VS. est une belle découverte.

Anderton

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