jeudi 28 février 2019

First Man : retournez en orbite

En DVD et Blu-ray : Seulement cinq nominations "techniques" aux Oscars 2019 et une seule récompense (l'Oscar des meilleurs effets visuels)... avec First Man, Damien Chazelle et Ryan Gosling n'ont pas convaincu l'Académie, après avoir failli à attirer le public en salle, malgré des critiques plutôt bonnes. La sortie du film en vidéo permet de réparer cette double injustice.


Un article de Forbes donne les six raisons qui ont conduit à cette mise en orbite ratée : la concurrence  en salles (A Star is born et Venom), notamment de films pour adultes, les controverses (on ne voit pas Neil Armstrong planter le drapeau américain sur la Lune), Ryan Gosling qui peine à attirer les foules ou encore le manque d'intérêt actuel pour la conquête spatiale. D'autres articles évoquent le contraste trop marquant avec le vibrant La La Land, voire une sorte de retour de bâton pour le jeune prodige Damien Chazelle, monté trop tôt, trop vite... 

Il y a peut-être un peu de tout ça mais surtout, First Man repose sur un énorme malentendu. Le film ne raconte pas l'odyssée de la conquête spatiale à la manière de L'Etoffe des héros, pas plus qu'il ne dépeint les astronautes en héros des temps modernes, comme dans Apollo XIII. Damien Chazelle a choisi de s'intéresser à un homme, le "premier homme" à avoir posé le pied sur la Lune. Or, Neil Armstrong n'avait rien d'un patriote exalté ou d'un aventurier téméraire. C'était un ingénieur rigoureux et déterminé, un taiseux avare en marques d'affection vis-à-vis de ses collègues et de sa propre famille. L'antithèse absolu du héros américain. Pour autant, l'homme n'avait rien d'un monstre froid. De même que la Lune cache en permanence une de ses faces aux Terriens, Armstrong enfouissait ses émotions derrière un visage impassible. D'autant plus profondément qu'un drame personnel avait laissé en lui une souffrance à vif.


Comment survit-on à une tragédie irréparable ? Comment continue-t-on d'avancer quand tout nous pousse à rester prostré ? Voilà ce que raconte First Man. C'est un film sur la résilience, sur les efforts monumentaux qu'il faut mettre en oeuvre pour parvenir à surmonter l'horreur et à se reconstruire. Animé par sa passion pour l'espace et l'aéronautique et par sa fascination pour la Lune, Armstrong a transformé sa douleur en combustible. Pour l'accompagner, pas de drapeau ni de recherche de gloire, juste un ange.

La belle idée de Damien Chazelle, c'est d'avoir montré cette histoire très personnelle et de l'avoir illustrée en faisant vivre aux spectateurs les états d'âme ainsi que les sensations traversés par Armstrong. On se trouve presque plongé dans une expérience de réalité virtuelle. La caméra colle au visage d'Armstrong et à toute la machinerie qui l'entoure. Cadrans, boutons, manettes mais aussi boulons, soudures... nous sont si proches que l'on pourrait presque les toucher. Nous voici au coeur des engins avec l'astronaute. On ressent les secousses, les forces qui s'exercent contre les appareils. Formidable travail sur l'image et le son. Jamais la conquête spatiale n'avait été évoquée avec autant de réalisme. Ce choix de mise en scène sert complètement le propos : le combat de l'astronaute est à la fois mental (dépasser son drame personnel) et physique (dépasser les lois de la physique). C'est pourquoi Chazelle, plutôt que de montrer un planter de drapeau avec une trompette en fond sonore, choisit de s'attarder sur le geste bouleversant que fait Armstrong sur la Lune. Un hommage qui marque la fin de sa reconstruction.

Life of Ryan

Ryan Gosling est parfois critiqué pour son jeu sobre et rentré, voire pour le manque d'expressivité de son visage. Ce que je trouve sévère, d'ailleurs. Ici, sa composition colle parfaitement au personnage. En un regard, il parvient à nous en faire partager les tourments. Je trouve que c'est l'une de ses meilleures prestations. Ajoutons qu'il est bien entouré par Claire Foy, Jason Clarke, Kyle Chandler et Ciran Hinds.

First Man n'est pas un film dépressif, encore moins déprimant. Mais c'est un film grave et mélancolique. Un film beau et fort, d'autant plus si l'on est parent. Un film poétique aussi, exaltant. Autant d'émotions que retranscrit le splendide score de Justin Hurwitz. 

Rendons hommage à Universal Pictures de continuer à croire à First Man en proposant une belle édition Blu-ray steelbook, avec à la clé une dizaine de bonus relatant la production du film et pointant certaines innovations mises en place pour obtenir ce rendu saisissant.  

Anderton

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