En salles : Présenté cette année à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique, Gabriel et la montagne est le deuxième film du cinéaste brésilien Fellipe Barbosa, après le remarqué Casa Grande. Autant le dire d’emblée : loin d’un brûlot altermondialiste ou d’un réquisitoire anti-occidental, derrière cet intriguant projet de reconstitution du périple d’un enfant gâté aux confins de l’Afrique se cache un film fascinant sur la résurrection d’un ami décédé. Manière de célébrer les vertus magiques du cinéma, qui non content de filmer la mort au travail, permet de ressusciter d’entre les morts. Cinq raisons d’aller gravir cette fascinante montagne.
Parce que le film sort des sentiers battus
Franchement, récemment, en avez-vous vu beaucoup des films qui ont pour cadre le Mozambique, la Tanzanie, le Malawi ou le Kenya ? D’accord, pour ce dernier, on a Out of Africa... Mais pour les autres ? Voici donc l’occasion de découvrir des contrées rarement arpentées par le cinéma de fiction, d’autant que son réalisateur Fellipe Barbosa se détourne de tout filmage touristique pour se concentrer sur une approche documentaire. Comme s’il épousait le point de vue de son héros, Candide en Afrique. Ce qui donne à son film un parfum d’authenticité comme on n’en voit que trop rarement dans la fiction... Et comme on voit peu le mont Kilimandjaro ou les chutes Victoria filmées de manière aussi brute.
Pour son histoire d’amitié hors normes
Rappelons-le : l’histoire que narre ici le cinéaste brésilien est celle de son ami d’enfance, Gabriel Buchman, étudiant en sciences politiques parti faire le tour du monde, retrouvé mort sur le flanc du mont Mulanje au Malawi, en 2009. Un fait divers qui monopolisa l’attention de l’opinion publique brésilienne en son temps. Nulle volonté ici de mener une enquête sur l’origine de cette disparition naturelle – le voyageur fut retrouvé quelques jours après, décédé d’hypothermie. Point de meurtre crapuleux déguisé en décès naturel ou en suicide. Le long et magistral plan séquence d’ouverture annonce la couleur : des paysans fauchent de l’herbe sur un flanc de montagne, avant de découvrir un cadavre, caché et allongé tel le Dormeur du val de Rimbaud. Une magnifique entrée en matière, à la fois documentaire, mystérieuse et poétique, à l’image de son film.
Pour son dispositif atypique
En parcourant les 70 jours qui ont précédé sa disparition, du Kenya au Malawi, le cinéaste a retrouvé les témoins que son ami avait rencontrés en 2009. Et les a intégrés dans la fiction. Chaque pays est ainsi l’occasion de dresser le portrait de son ami à travers des témoignages de guides, amis, qui rejouent une seconde fois leur rencontre avec Gabriel. Et qui en fin de chaque séquence témoignent de leurs impressions. Souvent déchirantes, à l’instar de l’un d’entre eux s’écriant : "J’ai eu l’impression de le voir revenir".
Pour sa faculté à ressusciter un très cher défunt
Ce faisant, loin de toute morbidité ou d’hommage funèbre, le cinéaste parvient à ressusciter littéralement la figure de son ami décédé. A partir du journal de bord et des photos prises par son ami, en mixant fiction et documentaire, approche traditionnelle et approche ethnographique, il parvient à redonner vie à Gabriel. Dans tous ses aspects, les plus solaires – son ouverture aux autres, sa soif de l’inconnu, sa générosité - comme le moins reluisants -: son égoïsme, son entêtement, son arrogance, ses contradictions. Incarné par un acteur de fiction – formidable Joao Pedro Zappa – son personnage mi-fictionnel, mi-documentaire s’inscrit ainsi dans la lignée des grands personnages bigger than life d’un Werner Herzog – on pense souvent à Aguirre, pour l’arrogance, Fitzcarraldo, pour la montagne, Grizzly Man, pour le dispositif. Autre influence, assumée par le cinéaste : celle du film d’Agnès Varda, Sans toit ni loi, avec Sandrine Bonnaire. A ceci près qu’à la différence de Gabriel, Mona était beaucoup moins aimable ou solaire.
Pour son mysticisme doux
Point de doute : Gabriel, la montagne, un voyage, autant de signes qui ramènent cette intrigue dans un versant sinon religieux, tout du moins symbolique. Entre les scènes de partage de repas avec les habitants, les discours économiques et politiques qui le ramènent vers ses origines pour le crucifier davantage, et l’ascension finale aux allures de calvaire, le film dessine une trajectoire christique indéniable. Pour autant, jamais Fellipe Barbosa n’en abuse. Ce qui rend encore plus mystérieux ce trajet aux confins du Malawi. Et davantage fascinant le destin hors normes de ce personnage d’enfant gâté.
Travis Bickle
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