Trois albums de bande dessinée illustrent des déclinaisons du mal à travers le destin de personnages qui basculent dans le côté obscur : Erostrate (Dargaud), Judas (404 Graphic) et Parjure (Delcourt). Trois somptueux romans graphiques.
Martin Veyron : Erostrate (Dargaud)
De Martin Veyron, je garde le souvenir des aventures de Bernard Lermite, un type désoeuvré et obsédé par les femmes qui traîna sa morne existence dans les pages de L'Echo des Savanes et de Pilote dans les années 1980. D'autres BD ont suivi, un grand prix au Festival d'Angoulême en 2001 et après huit années d'absence, l'auteur revient avec un imposant album qui raconte l'existence d'Erostrate. Cet Athénien est passé à la postérité pour avoir incendié le temple d'Artémis, l'une des sept merveilles du monde antique, en 356 avant notre ère. Et pour quel motif ? La gloire !
De son trait souple et vivant, Veyron signe une ode truculente à la Grèce antique (découvrez les premières planches). Tel un aède ayant troqué la lyre pour le pinceau, il raconte autant l'Histoire que les mythes et les petites histoires d'une galerie de personnages dont les excès et les vices font notre délice. Son récit imbrique les époques, la réalité et la fiction, les dieux et les humains à un rythme soutenu. Les dialogues font mouche, les rebondissements s'enchaînent. C'est beau, drôle, émouvant parfois, instructif même. J'y ai retrouvé l'esprit "gai, païen et libre" (pour reprendre les termes de Jean-Jacques Annaud) de Sa Majesté Minor, grand film incompris.
Jeff Loveness et Jakub Rebelka : Judas (404 Graphic)
Il a trahi Jésus pour trente deniers. Effaré par son crime, il s'est pendu avant d'être plongé au plus profond de l'enfer. C'est là que nous retrouvons Judas Iscariote, désormais incarnation du vilain absolu. Jeff Loveness et Jakub Rebelka nous font entendre sa voix et surtout ses innombrables questions. Jésus savait-il que Judas allait le trahir ? Si oui, pourquoi ne l'en a-t-il pas dissuadé ? L'apôtre n'a-t-il pas le droit au pardon ?
Le risque était grand de faire de Judas une simple victime mais, avec beaucoup d'intelligence, les auteurs nous amènent à nous questionner à notre tour sur le destin de cet être condamné à jamais pour son méfait et sur sa place dans l'histoire du christianisme. Ils emmènent Judas sur le chemin difficile de la rédemption au fil de pages qui frappent par leur beauté. La fantasy et l'horreur s'immiscent dans le récit jusqu'à un final poignant et, paradoxalement, lumineux.
Nicolas Savoye et Simon Beauvarlet de Moismont : Parjure (Delcourt/Mirages)
C'est l'histoire de deux frères, deux guerriers vikings, qui ont juré de rester unis à jamais. Mais Baldrik a embrassé la religion chrétienne pour épouser Urda. Son frère Aldor, devenu roi, s'est détourné de lui. Les années ont passé, Urda est tombée malade. Les prières ne l'ont pas sauvée. Alors Baldrik, fou de chagrin, s'est à nouveau parjuré, retrouvant la religion de ses ancêtres avant de massacrer le clergé de son village et d'en incendier l'église. Décidé à retrouver son épouse dans la mort, il a confié son jeune fils Brunr à Aldor, qui a accepté de l'élever avec son propre fils, Arulf.
Parjure explore la complexité d'une amitié adolescente à travers le regard d'un "bâtard", qui peine à s'intégrer dans une famille royale malgré la générosité du souverain et de son fils. Une tension sourde parcourt l'histoire magnifiquement illustrée par Nicolas Savoye. Le coscénariste et dessinateur tire le meilleur parti du noir et blanc (lisez les premières planches). La précision de son trait et l'inventivité de son découpage, qui alterne les formats de cases, du petit carré centré sur un détail au très grand format pleine page, subliment cette tragédie grecque en terres nordiques à la brutale et bouleversante conclusion.
Anderton
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