mardi 30 juillet 2019

Razorback : I Want My Mulcahy

En DVD et Blu-ray : Alors que la canicule s'est évaporée de l'Hexagone, Carlotta Films décide de nous remettre un gros coup de chaud en nous balançant au coeur de l'outback avec un sanglier monstrueux aux trousses. Disponible en Blu-ray dans une version restaurée 4K, le film s'appelle Razorback et il a mis en émoi les lecteurs de Starfix en 1984. Il faut dire que dire que ce film d'horreur esthétique et choc est réalisé par Russell Mulcahy, qui enchaînera deux ans plus tard avec Highlander.



Asseyez-vous autour du feu et, le temps d'allumer ma pipe, laissez-moi vous conter le contexte. En 1984, MTV existe depuis trois ans et a révolutionné la télévision. Cette chaîne pour les jeunes diffuse des "clips" (c'est comme ça qu'on appelle les vidéos musicales à l'époque) des stars de la pop et du rock. Des artistes blancs surtout avant que sous la pression des maisons de disques (CBS Records notamment) et d'artistes (David Bowie entre autres), Michael Jackson, Prince, Lionel Ritchie et d'autres stars noires soient également programmées à l'antenne. Outre les sus-nommés, Genesis, Madonna, Dire Straits, Queen, Police and co font appel à des jeunes réalisateurs talentueux qui rivalisent d'inventivité pour mettre en images leurs nouveaux morceaux. Leurs noms : Steve Barron (Billie Jean, Money for nothing), Bob Giraldi (Beat It), Kevin Godley & Lol Creme (Every Breath You Take, Rock It), Jean-Baptiste Mondino (The Boys of summer)... et Russell Mulcahy donc. 

Ce réalisateur australien bosse alors beaucoup avec Elton John (I'm still standing) et Duran Duran, groupe pour lequel il réalise notamment Rio, The Reflex et The Wild Boys. Sorti en grandes pompes en 1984, ce clip partage avec Razorback la même esthétique : la bande à Simon Le Bon se débat dans un site industriel (échafaudages et chaînes) baigné dans une lumière bleue aveuglante. Jets de flamme et plan d'eau inquiétant se disputent le territoire sur lequel une carcasse de voiture est plantée tel un dolmen de métal. Et cette roue de moulin qui tourne et tourne sans cesse. Autant d'éléments que l'on retrouve dans le second long-métrage de Mulcahy. 





Le style Mulcahy a définitivement marqué son époque. Certes, on sent dans l'extrait ci-dessus les influences visuelles de Steven Spielberg (époque Rencontres du troisième type), Joe Dante, George Miller ou encore John Carpenter. Mais le cinéaste australien a poussé à son paroxysme l'usage de la lumière et des couleurs, tellement flashy, cartoonesques mêmes, qu'elles en deviennent irréelles. Surnaturelles. Dans Rencontres, ces lumières incroyables ont pour origine les vaisseaux extra-terrestres. Dans Razorback, elles sont émises par la lune ou un lampadaire. Elles semblent parfois jaillir du néant, sans que leur source d'émission soit identifiée. Et à vrai dire, Mulcahy et son directeur de la photo Dean Semler (Mad Max 2 et 3, Danse avec les loups, Apocalypto) semblent s'en foutre royalement. Ils plongent le spectateur dans un trip visuel hallucinatoire. Le désert australien où le gigantesque sanglier sème la terreur est un vaste terrain de jeu pour le duo, qui s'en donne à coeur joie.

Russell le Radical

Pas étonnant que Razorback ait emballé une bonne partie des jeunes cinéphiles des 80s. On kiffait alors ce genre de mise en scène fougueuse, ces plans colorés et inventifs. Une débauche d'effets parfois gratuits mais qui restaient gravés sur nos rétines. Tout en appréciant le savoir-faire du cinéaste, j'avais à l'époque émis quelques réserves sur le fond. En revoyant le film, dans un splendide master (rien à voir avec la VHS de mon vidéoclub), j'ai à nouveau été épaté par la maestria de Mulcahy, acceptant davantage son "extrémisme" qui me paraît être moins une posture que la retranscription radicale d'un lieu (l'outback) où la sauvagerie et la folie se sont emparés des hommes comme des bêtes.

Je suis toujours gêné par quelques maladresses de montage, qui plombent parfois certains effets là où un Carpenter nous aurait fait bondir de notre siège. Les comédiens manquent également de charisme : on a du mal à ressentir de l'empathie pour le fade Gregory Harrison (la série L'Age de Cristal), ce qui est embêtant quand son personnage porte les 2/3 du film sur les épaules. Quant à Arkie Whiteley, son visage nous rappelle surtout qu'elle a joué dans Mad Max 2. Par ailleurs, je trouve que la musique d'Iva Davies, très marquée par les synthés 80s, a très mal vieilli et pénalise l'ensemble.




Reste que le film, étonnant, exubérant, excessif, mérite d'être (re)découvert. Surtout dans le cadre de cette magnifique édition. Parmi les bonus, notons des scènes coupées, un doc qui revient sur la production du film ainsi qu'un débat de jeunes critiques australiens qui font part de leur amour pour ce film culte avec des arguments très convaincants. Soulignant qu'il ne faut pas réduire Razorback à un Jaws sur pattes et dans le désert (même si évidemment, le film de Spielberg a marqué toute une série de films opposant des hommes à une bête féroce), le quatuor montre à quel point les thématiques du film - sur lesquelles critiques et spectateurs s'étaient peu attardés lors de la sortie en salles - sont d'une brûlante actualité : les ravages de l'homme sur son environnement, l'oppression masculine et l'affirmation du pouvoir des femmes... C'est bien vu. 

Anderton

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