mardi 2 juillet 2019

Une intime conviction : un film qui vise juste

En DVD et Blu-ray : Sorti il y a quelques semaines en vidéo, Une intime conviction nous plonge au coeur de l'affaire Viguier qui a défrayé la chronique pendant près de dix ans. Pour son premier long-métrage, Antoine Raimbault a réalisé un "film de procès" à la fois prenant et intelligent, porté par un formidable duo : Marina Foïs et Olivier Gourmet.


Comme beaucoup de gens, je me souviens par bribes de l'affaire Viguier, qui éclate en 2000 : la mystérieuse disparition de Suzanne Viguier en février 2000 ; l'enquête qui aboutit à l'inculpation de son mari Jacques ; son procès en 2009 au cours duquel l'homme est présenté par les médias comme indifférent ; son acquittement puis son deuxième procès en appel, à nouveau conclu par un acquittement.

Antoine Raimbault se lance dans un exercice périlleux : aborder le second procès en s'appuyant sur tous les éléments factuels, et notamment la plaidoirie d'Eric Dupont-Moretti, qui défend l'accusé, tout en introduisant une part de fiction avec la création d'un personnage imaginaire, Nora. Femme seule qui élève son fils unique, Nora travaille dans un restaurant de la région toulousaine. Passionnée par l'affaire Viguier (on comprendra pourquoi au cours du film), elle est persuadée de l'innocence de Jacques. A partir d'articles de presse et du compte-rendu des audiences du premier procès, Nora a défriché des pistes, étayé son argumentaire. Selon elle, Jacques Viguier est innocent et les déclarations de l'amant de Suzanne, qui ont contribué à faire inculper Jacques, sont sujettes à caution. Elle contacte alors Me Dupont-Moretti, qui finit par accepter de reprendre la défense du mari.


Nora est incarnée par Marina Foïs, qui livre une prestation bluffante. Dans une approche très naturaliste, qui illustre tout son savoir-faire, elle joue une femme prête à sacrifier sa vie de famille et son travail pour faire éclater la vérité. Accrochée à ses certitudes, elle doute parfois de sa capacité à faire innocenter Viguier. Un double élan qui ronge Nora. La comédienne est habitée par un feu intérieur, qui l'anime autant qu'il semble la dévorer. Son visage reflète le combat et les émotions contradictoires de son personnage. Fascinante, Marina Foïs rend crédible cet être de fiction, à la fois hargneux, révolté, inquiétant et larguée par ces procédures judiciaires auquel on ne comprend pas grand-chose.

Face à Nora, se dresse Eric Dupont-Moretti. L'homme de loi à la stature et au ton imposants. Sans chercher à imiter l'avocat, Olivier Gourmet lui donne corps. Non pas avec lourdeur mais avec force. Il oppose sa mesure à l'énergie brouillonne de Nora, il revient aux textes de loi quand Nora se laisse emporter par ses supputations. Ses paroles claquent et, lorsque les limites sont franchies, sa voix tonne, rappelant chacun aux fondamentaux de la justice. Grande interprétation, là encore.

Dans un jeu tout en retenue, Laurent Lucas fait passer la détresse de Jacques Viguier en même temps que ses incompréhensibles réactions - ou plutôt manques de réaction. Il n'en fait ni un assassin, ni une victime mais un homme brisé et dépassé. Le reste du casting est tout aussi bon, notamment Steve Tientcheu dans le rôle du collègue de Nora qui essaie de la maintenir à flot et Philippe Uchan dans celui de l'amant de Suzanne Viguier.

Rendre justice

Tous ces personnages, réels ou fictifs, sont très bien construits. Chacun d'entre eux porte une part d'ombre et de mystère qui le rend profondément humain et participe au flou entourant l'affaire. C'est d'ailleurs la grande force du film : montrer l'immense difficulté à faire jaillir la vérité et ce faisant, à rendre la justice. Le spectateur est pris par des sentiments mêlés... et se fait cueillir, rappelé à l'ordre - comme Nora - par un Dupont-Moretti qui revient de manière intraitable à l'esprit et à la lettre du droit français. Magnifique.

Memento Films complète l'édition vidéo par une demi-douzaine de bonus éclairants, notamment un échange entre le public et Antoine Raimbault, Olivier Gourmet et Eric Dupond-Moretti, mais aussi une émission radio (On aura tout vu sur France Inter) et un podcast. Entre autres. Autant d'occasions de prolonger la saine réflexion suscitée par le film.

Anderton

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