mardi 4 août 2020

Le temps des nababs : ces producteurs qui ont fait le cinéma français

En DVD : L'indispensable feuilleton de l'été est une série documentaire en 8 épisodes de 52 minutes. Son titre : Le temps des nababs. La "rencontre" très personnelle de Florence Strauss avec les grands producteurs du cinéma français de l'après-guerre, des frères Hakim à  Christian Fechner, en passant par Robert Dorfmann, Alexandre Mnouchkine et bien d'autres.



Fille et petite-fille de producteurs, Florence Strauss a passé une bonne partie de sa vie dans les salles obscures. Au plaisir de découvrir les films, s'ajoutait celui de repérer les noms de leurs producteurs. Des noms associés à quelques-uns des plus grands films du cinéma français et sur lesquels elle a souhaité mettre des voix, des visages, des projets. Des vies. Et quelles vies !

Parmi ces nababs, il y avait beaucoup d'hommes de confession juive, originaires de Russie (tels Alexandre Mnouchkine et Georges Dancigers), de Pologne (comme Serge Silberman) et de France (Robert Dorfmann), qui ont fui les pogroms ou les nazis et même parfois survécu aux camps de concentration. Sur leur jeunesse marquée par la souffrance, l'exil et la mort de leurs proches, ces rescapés ont apposé le sceau du silence, refusant même d'en parler avec leurs propres enfants. Comme s'ils avaient décidé que ce terrible fardeau serait uniquement le leur et qu'il ne les empêcherait pas d'aller de l'avant. Le documentaire évoque aussi des destins moins tragiques mais tout aussi remarquables : ceux de Mag Bodard, Alain Poiré, Pierre Cottrell, Albina du Boisrouvray, Jean-Pierre Rassam ou Yves Rousset-Rouard.


Ce qui unit, ces hommes et ces quelques femmes, c'est d'abord une volonté de fer, capable de pulvériser le moindre obstacle juridique ou financier, de surmonter les doutes et les crises. C'est aussi une force de conviction, qui va parfois de pair avec un certain bagout et une dose de roublardise, voire de manipulation. C'est enfin le goût du risque et/ou du jeu. Mais surtout, surtout, chacun de ces nababs est porté par sa passion du cinéma. Oubliez le producteur hollywoodien, bâton de chaise à la bouche et calculatrice à portée de main, qui ne pense qu'en termes de box-office et de marketing. Nos producteurs hexagonaux maîtrisent certes l'art d'élaborer un budget et de récolter des fonds, redoublant d'ingéniosité à une époque où la télévision ne dicte pas encore sa loi, mais pour eux, un film ne se résume pas à une bonne affaire : c'est avant tout une aventure artistique et humaine.

"Un producteur, c'est un banquier sans argent (...), un diplomate, un marchand certes et un artiste si possible", affirme Anatole Dauman (Nuit et brouillard, La jetée, L'Empire des sens, Paris Texas). Pour Robert Dorfmann (La Grande vadrouille, Le Cercle rouge, Papillon), un producteur doit être capable de dire en découvrant les rushs : "Cette scène n'est pas bien, on la refait demain". Une position d'équilibriste que décrit Yves Rousset-Rouard (Emmanuelle, Les Bronzés) en ces termes : "Le producteur se trouve entre l'art et l'argent mais c'est le premier créateur d'une oeuvre. Et en même temps, le premier spectateur d'une oeuvre".

Récits de vie et analyses de contrats

Tout le mérite du documentaire est de faire voler en éclats nos préjugés sur le rôle du producteur, tout en rendant hommage à des grandes figures moins célébrées que les cinéastes qu'elles ont soutenus, souvent avec un grand sens de la fidélité, contribuant à donner naissance à quelques chefs-d'oeuvre et à de belles carrières. Le spectateur découvre de sacrés personnages et replonge dans une époque où le cinéma était roi. Les Champs-Elysées regroupaient alors les sièges des grandes maisons de production ainsi qu'une multitude de salles. De leurs bureaux, les producteurs scrutaient avec anxiété la longueur des files de spectateurs sur le trottoir quand ils n'allaient pas directement demander l'avis des ouvreuses ou étudier les réactions du public dans la salle. Les nababs se croisaient parfois le long de l'avenue ou se retrouvaient au Fouquet's. 

Toute une époque que décrivent avec un brin de nostalgie Florence Strauss et son coréalisateur Gioacchino Campanella, en mêlant images d'archives et entretiens récents avec les nababs encore de ce monde ou leurs proches - enfants, amis, collaborateurs, financiers, collègues. Aux récits de vie, ponctués de nombreuses anecdotes, répond l'analyse des contrats de production de quelques grands films. Florence Strauss explique simplement les montages financiers, les coproductions (parfois avec l'Italie ou Hollywood), les aides publiques. Edité en coffret DVD par Le Pacte, Le temps des nababs est aussi passionnant qu'indispensable pour tout cinéphile qui se respecte.

Anderton

Aucun commentaire: