jeudi 30 juillet 2020

David Merveille : "Je me suis dit que ce serait sympa de faire de Monsieur Hulot un héros pour enfants" - INTERVIEW

Artistes : Cela fait un bail que David Merveille nous émerveille avec ses illustrations consacrées à Monsieur Hulot. Dans de beaux et inventifs albums jeunesse (et nous sommes tous jeunes de 7 à 77 ans) comme sur des affiches ou des jaquettes de Blu-ray, l'artiste belge fait revivre le personnage créé par Jacques Tati avec un respect teinté d'impertinence. Non seulement il su capter l'essence (l'âme !) de l'homme à la pipe, et à faire mouvoir ce corps longiligne et souple à la fois, mais il a également réussi à fondre l'univers poétique de Hulot dans un monde moderne, bourré de clins d'oeil et de références. Disponible, sympa et généreux, David Merveille a accepté de répondre aux questions de Cineblogywood.



Cineblogywood : Te souviens-tu de ta première rencontre avec Monsieur Hulot ?
David Merveille : Ma première approche fut glaciale. Quand j'avais 15 ans, mes parents m'avaient chaudement recommandé de regarder Playtime, qui est quand même le film le plus cérébral et le moins drôle de Jacques Tati ! Au bout d'un quart d'heure, je suis parti. Mais deux ans plus tard, j'ai découvert Jour de Fête et Les Vacances de Monsieur Hulot et j'ai adoré.




Quand as-tu décidé de lui faire vivre de nouvelles aventures sur papier ?
Dans Fait pour ça, mon premier ouvrage publié aux Editions du Rouergue en 2004, j'avais représenté Monsieur Hulot, qui faisait de la figuration, et plein de gens m'en avaient parlé. Je me suis alors dit que ce serait sympa de faire de ce personnage libre un héros pour enfants. Après tout, c'est un grand gosse qui fait des bêtises. La difficulté était de traduire le cinéma de Tati en images. J'ai contacté les ayant-droits, Macha Makeïeff, Jérôme Deschamps [cofondateurs des Films de Mon Oncle avec Sophie Tatischeff, la fille de Jacques Tati - NDLR] et Philippe Gigot, qui ont trouvé mon travail très bien et m'ont donné carte blanche. J'ai donc réalisé Le Jacquot de Monsieur Hulot en 2006.

C'est un livre au format original avec des pages à déplier qui permettent de découvrir les catastrophes que provoque Hulot à la poursuite de son perroquet...
Ce sont des gifs animés en papier ! La grande difficulté est de faire un livre sans texte, avec une trame narrative et qui soit compréhensible pour les enfants.

Même originalité dans Hulot Domino (2019), associant pleines pages et découpes, qui te permettent de jouer avec la silhouette de Hulot...
Plusieurs tableaux du livre existaient déjà sous forme de cartes postales. J'en ai rajouté pour faire des scénettes qui permettent de passer d'un univers à un autre. Hulot fait du tennis, on tourne la page et paf, il fait des crêpes ! Autant d'occasions de créer des chocs graphiques. J'avais du mal à trouver le titre et puis l'idée des dominos m'est venue : c'est un jeu sur les transitions et les associations.  

Quand tu travailles sur un album consacré à Monsieur Hulot, te replonges-tu dans les films ?
Je les connais assez bien mais je m'y replonge surtout pas pour singer quoi que ce soit mais pour y puiser des références : la marque d'une voiture, ses couleurs, les personnages secondaires... Cela me donne aussi des idées.



Tu es parvenu à respecter l'univers de Tati tout en l'intégrant au monde d'aujourd'hui. C'était important pour toi de ne pas avoir un regard passéiste sur ce personnage ?
Ce que j'aime bien dans les films de Tati, c'est aussi cette nostalgie. Ce sont des machines à remonter le temps. Et j'aime bien dessiner tout ce qui est associé aux années 50 et 60. Pour autant, je n'avais pas envie de faire un truc ringard. J'ai intégré des personnages actuels [un couple mixte, des gosses faisant du skate, un type sur son laptotp... NDLR] et surtout, j'ai cherché à avoir une approche moderne, intemporelle, y compris dans l'humour. C'est mon style graphique, par les couleurs et les formes, qui soude l'ensemble.


Il y a souvent beaucoup de références dans tes ouvrages. Dans Le Jacquot de Monsieur Hulot, tu fais des clins d'oeil aux films de Tati, aux Deschiens mais aussi à Félix le chat, Ducobu et Bob l'éponge !
Avec Zidrou, le scénariste de Ducobu, on a fait notre premier livre ensemble et là, nous travaillons sur un gros projet de BD. Quant à Bob l'éponge, mes enfants adorent !

D'ailleurs, pourquoi ne pas adapter les aventures de Monsieur Hulot en bande dessinée ?
Hello Monsieur Hulot était à moitié une BD. Sinon, j'avais commencé un découpage pour une BD classique et puis c'est devenu un projet de film d'animation que je développe avec Marc Rius et Tu Nous Za Pas Vus Productions. Ce sera un long-métrage d'animation 3D dont le titre est Merry Christmas Monsieur Hulot. Nous avons réalisé un court-métrage pour nous chauffer, avec l'objectif de sortir le film dans deux ans. C'est un travail très long et qui coûte beaucoup d'argent. Et puis, c'est compliqué car Monsieur Hulot n'est pas notre personnage. Les ayant-droits sont très regardants et c'est normal. Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps sont des gens du spectacle, ils savent de quoi ils parlent donc leurs avis sont pertinents. 

D'un point de vue graphique, à quoi ressemblera le film ?
Dans mes livres, il n'y a pas de trait, que des formes et des couleurs, avec beaucoup d'aplats. La grande difficulté, c'est d'expliquer ce que je veux. On fait des tests. Certains sont très réussis, d'autres non. L'animation 3D pousse à travailler les matières, avec beaucoup de détails, de reflets, de jeux de lumière. Moi, j'ai envie d'aller vers l'épure. 

Et François, le facteur de Jour de fête, il ne t'inspire pas ?
C'est un personnage attachant. Je lui ai d'ailleurs fait rencontrer Hulot dans un de mes livres mais je trouve Hulot plus intéressant. Il a du mal à communiquer, il reste un peu en dehors de la société et puis, il dégage plus de poésie.


Dernière question : cet été, vas-tu passer tes vacances à Saint-Marc-sur-mer, où a été tourné Les Vacances de Monsieur Hulot ?
Je m'y suis déjà rendu à trois reprises. Quand j'ai fait Monsieur Hulot à la plage, j'ai été invité à Saint-Marc pour y exposer mon travail. Les gens étaient adorables. Et moi, j'avais l'impression d'être dans le film et de pouvoir me balader dans les décors. Bien sûr, les lieux ont un peu changé mais la plage est restée identique à celle du film.

Exposition David Merveille - M. Hulot,
à la galerie Huberty & Breyne, à Bruxelles

Merveille au travail
L'actualité de David Merveille est plutôt chargée. Outre ce projet au long cours de film d'animation consacré à Monsieur Hulot et la BD réalisée avec Zidrou, l'illustrateur travaille sur deux ouvrages qui n'ont rien à voir avec l'univers de Tati. Et il vient de réaliser l'affiche du Festival CineComedies 2020 de Lille. Reste que le grand dégingandé pointe toujours le bout de sa pipe : il était la vedette d'une exposition à la galerie bruxelloise Huberty & Breyne dans laquelle il venait perturber des tableaux de Matisse, Mondrian ou Hopper (découvrez l'expo en visite virtuelle). A quand une escale parisienne ? A la rentrée, les éditions Champaka-Dupuis publieront en France Tati par Merveille, qui regroupe tous les travaux de l'artiste autour du personnage : illustrations (dont celles réalisés pour le coffret Criterion), peintures, fusains, cartes postales, expositions... On vous en reparlera prochainement. D'ici là, laissons David Merveille regarder la guimauve couler à la plage.

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photo : Laurent Durieux

Anderton

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