mardi 15 septembre 2015

The Program : Stephen Frears dans la roue de Lance Armstrong

 
En salles : Stephen Frears, 74 ans au compteur, enchaîne les films à un rythme de plus en plus soutenu, alternant les genres, les formats et les budgets avec une aisance dignes d'un John Huston. Avec son nouveau film, The Program, il s'inscrit dans un genre – le film dossier – et fait montre d'une maîtrise totale dans l'art du scénario et la fluidité de la mise en scène. Pour livrer in fine un portrait mordant et ironique du coureur cycliste américain Lance Armstrong, ni à charge ni à décharge, et non dénué d'une certaine dose d'empathie. On attaque !

Enfin un film sur le Tour de France !

Tout d'abord, avec The Program, Stephen Frears met fin à une malédiction. Jamais le cinéma américain n'était parvenu à capturer à l'écran le Tour de France, à l'inverse du football américain ou des Grands prix de Formule 1. Après plusieurs tentatives avortées qui avaient monopolisé Michael Cimino et Dustin Hoffman dans les années 80, et plus près de nous, Matt Damon il y a cinq ans, le cinéaste britannique jette son dévolu sur les années 2000 et le Tour de France, monopolisé alors par les victoires de Lance Armstrong et de son équipe US Postal. Chapeau bas ! Les scènes d'ascension sont impressionnantes ; il parvient à rendre compte des stratégies individuelles et d'équipe avec beaucoup de force ; surtout, les scènes de peloton sont à couper le souffle, aussi impressionnantes que l'étaient celles de Formule 1 dans Rush.

Ni plaidoyer, ni portrait à charge

En s'appuyant sur le récit du journaliste sportif irlandais David Walsh, on aurait pu craindre que ce biopic soit un portrait à charge du cycliste américain. C'est vrai, rien ne nous est épargné des préparatifs et du programme auquel se soumet Armstrong et ses équipiers : prise de sang, piqûres avant et pendant la course, régime, etc. Le tout sous la houlette du désormais mal famé Michele Ferrari, campé par un Guillaume Canet qu'on ne savait pas si à l'aise dans des rôles de composition. Montage cut et BO aux petits oignons – Radiohead, les Ramones, Leonard Cohen – soulignent le sujet sous-jacent de The Program : l'addiction d'un homme aux drogues, au pouvoir, à la victoire. 

Une légende montée à coups d'EPO

Au fait, c'est quoi ce fameux programme ? C'est toute l'habileté du scénario signé John Hodge (auteur de i) que d'enferrer le coureur dans un triple programme : celui qui lui permet de se doper à l'EPO à l'insu des autorités  de contrôle du cyclisme ; le protocole de guérison oncologique, lié au déclenchement de son cancer en 1996 ; enfin, celui dont il est l'instigateur et la victime : celui de sa légende montée de toute pièce, fabriquée à coups d'EPO et de mensonges, celle d'un héros malgré lui. Et le film de décrire un héros qui a tous les traits du salaud : menteur, manipulateur, psychopathe.

Dans le même temps – et c'est là le talent d'un Frears, souvent ironique, en tout cas jamais méchant, et toujours humaniste – le cinéaste lui laisse sa chance en zoomant sur ses failles : la tentation du vide, sa victoire sur la maladie, sa passion du vélo. Points de départ de l'incroyable manipulation dans laquelle il va s'enferrer. 

Faux biopic aux allures de film-dossier

Outre le triple niveau de lecture qu'offre ce programme, toute la subtilité du récit de The Program réside dans l'alternance des points de vue narratifs : celui de Lance Armstrong, celui du journaliste David Walsh, et celui du co-équipier d'Armstrong, Floyd Landis. D'où un faux biopic qui prend des allures de film-dossier, de thriller psychologique, voir de film d'arnaque ! Et Armstrong de rejoindre la galerie des grands fêlés du rêve américain, Elmer Gantry de Richard Brooks, Le Malin de Huston, ou Aviator de Martin Scorsese. Comme en témoigne la scène où, pour se préparer à une conférence de presse, il se parle face à un miroir, qui n'est pas sans évoquer les personnages de Scorsese.

Ben Foster, de la trempe de De Niro

Captivant de bout en bout, à la fois film dossier à la Rosi et thriller psychologique à la Scorsese, The Program repose sur les épaules d'un acteur dont je n'attendais rien : Ben Foster. De la trempe d'un De Niro, il s'impose comme un acteur d'une violence contenue, qui inspire autant admiration que crainte. Du grand art ! A ses côtés, Guillaume Canet, Dustin Hoffman ou bien Chris O'Dowd donnent chair en quelques scènes à des personnages capitaux dans la l'ascension et la chute du coureur cycliste. 

Bref, 105 minutes de cinéma qui prouvent que Stephen Frears, avec une vingtaine de films au compteur,  est encore loin d'être assagi, tant d'un point de vue artistique que social. C'est tant mieux pour le spectateur !
 

Travis Bickle

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