La bande dessinée américaine se porte bien en dehors des aventures de super-héros. La preuve avec ces cinq comics, publiés chez Delcourt et Urban Comics, qui abordent des genres aussi différents que le polar, la science-fiction, le western horrifique, la fantasy. En prime, un recueil indie de tranches de vie.
Ed Brubaker & Sean Phillips : Là où gisait le corps (Delcourt)
Dès le titre (et la couverture), tout est dit. Le cadavre d'un homme est retrouvé dans la rue d'une paisible rue de banlieue américaine. Enfin, paisible. Il s'en passe de belles, et de moins belles, à Pelican Road, en cet été 1984. Qui a fait le coup ? De Criminal à Reckless, en passant par Incognito, Fatale et bien d'autres séries ou récits complets, Brubaker et Phillips ont composé une ode au noir, revisitant le polar sous toutes ses formes, entre hommage et transgression. Cette fois-ci, ils s'attaquent au whodunnit? La forme s'inspire du Cluedo : le décor de la rue est posé, les protagonistes affichés. Il y a une voisine curieuse, des délinquants juvéniles, un type avec un badge de flic, un SDF vétéran, une apprentie super-héroïne, un détective privé, une épouse délaissée... Tout se petit monde fume, boit, se drogue, se castagne, ment, baise. Pas de voile pudique sur les scènes de cul, l'éditeur prévient : cet album est "pour lecteur averti".
Pour ma part, je vous avertis que vous allez prendre un grand plaisir à lire cette histoire qui fait valdinguer le mythe de suburbia americana. Le récit est habilement construit : Brubaker multiplie les points de vue sans négliger aucun des personnages, qui révèle peu à peu toute leur complexité. Chaque case dessinée par Sean Phillips est un bijou de mise en scène et de composition. Et quel art du découpage ! Fantastique travail sur les couleurs par son fils Jacob. Gros coup de coeur.
Skottie Young, Kyle Strahm & Jean-François Beaulieu : Twig - Dans l'ombre du héros T.1 (Urban Comics)
Twig est un héros mais il ne le sait pas encore. Il se réveille en retard. Pas bien pour son premier jour de travail. D'autant qu'il doit remplacer son père. Avec son ami Splat, il prend la route et sa vie en sera bouleversée.
Skottie Young et Kyle Strahm nous plongent dans un univers merveilleux, où chaque chose semble être vivante, des arbres aux montagnes. Un univers peuplé de créatures incroyables. Un univers merveilleux et plein de dangers. Ce premier tome lance une grande aventure avec deux héros attachants. Le dessin rond et souple de Strahm est réhaussé des superbes couleurs apposées par Beaulieu. La fantasy comme on l'aime !
Scott Snyder & Dan Panosian : Canary (Delcourt)
Azrael William Holt est marshal. Il n'hésite pas à faire parler son colt face aux récalcitrants. Une légende de l'Ouest. Le voici appelé au Colorado dans un patelin où d'effroyables tueries ont été commises par des gens a priori sans histoires. Un géologue met en cause des cours d'eau contaminés par l'ancienne mine de Canary. Un mauvais souvenir pour Holt qui a été confronté à un fou furieux refugié sur place. Retour dans l'enfer minéral. Il faut explorer cette foutue mine, malgré les mises en garde d'une tribu autochtone. Le mal a élu domicile dans les entrailles de la terre.
Snyder invente une sorte de justicier à la Clint Eastwood, impitoyable, qui se trimballe une enquête traumatisante. Le western bascule progressivement dans le thriller horrifique. L'ambiance est lourde, menaçante, jusqu'à une explosion finale qui ne laissera personne indemne. Ni les personnages, ni le lecteur. Bien qu'Américain, Dan Panosian a un style qui évoque la BD italienne ou argentine. Les traits, précis, semblent avoir été griffés sur la page. Il est parvenu à recréer une ambiance qui évoque les westerns brutaux des années 1970. Il s'est chargé lui-même de la mise en couleurs. Les cieux et les arrières plans sont comme barbouillés à coups de gros pinceaux. Le résultat est aussi étonnant que splendide.
Richard Blake : Horizons obliques (Urban Comics)
Dans un futur lointain, un couple de cartographes décide d'explorer une dimension parallèle, à l'architecture à la fois familière et mouvante. Ils n'en reviennent pas. Devenue adulte, leur fille Adley part à leur recherche, accompagnée par un cyborg empathique.
Inspiré par Les Cités obscures de Schuiten (avec lequel il converse dans un supplément proposé à la fin de l'album) et Peeters, l'artiste américain Richard Blake signe sa première incursion dans la bande dessinée avec un roman graphique de toute beauté. L'édition en grand format permet d'admirer le formidable travail réalisé par l'auteur. Avec une large palette de techniques graphiques, à la fois traditionnelles et numériques, il invente des univers où la pierre s'associe au digital. Notre perception de la réalité est constamment mise à l'épreuve tandis que nous sommes invités à nous questionner sur l'impact de l'intelligence artificielle sur nos existences. On ne peut s'empêcher de penser à Inception. Cette grande réussite visuelle reste toutefois un peu froide : je n'ai pas réussi à m'attacher à ces personnages perdus dans une quête peut-être trop abstraite.
Daniel Clowes : Caricature (Delcourt)
Delcourt poursuit la réédition des oeuvres de Daniel Clowes, l'un des papes de la bande dessinée indépendante américaine. Ce recueil reprend huit courtes histoires tirées de sa série Eightball et une publiée dans le magazine Esquire. Trois en couleurs, les autres en noir et blanc. L'auteur excelle à raconter des tranches de vie d'êtres névrosés, psychotiques, immoraux ou amoraux. Des hommes et des femmes qui se laissent souvent balloter et malmener par les aléas de l'existence. Clowes les dépeint de son regard cru, satirique, sans empathie et de son style à la précision chirurgicale et en même temps dégageant une profonde étrangeté. Le lecteur est happé par ces histoires malaisantes qui l'emmène sur des chemins pleins de surprise.
Anderton
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