mardi 23 février 2010

Shutter Island : dans l’antre de la folie



En salles : Scorsese-DiCaprio, acte 4. Après avoir dressé une généalogie de la violence – Gangs of New-York – une généalogie de la névrose obsessionnelle – Aviator – une généalogie de la corruption – Les Infiltrés – le duo cinématographique le plus fécond de ces dix dernières années s’attaque au tréfonds de l’âme humaine en nous proposant avec Shutter Island une généalogie de la folie, une véritable plongée dans l’antre de la folie.

Oh, bien sûr, Martin Scorsese aime trop le cinéma pour nous proposer un film-dossier ou une thèse assommante ! Là, il s’appuie sur un polar de Dennis Lehane – auteur, entre autres de Mystic River, déjà adapté au ciné par Clint Eastwood – et fait coup double : il rend hommage au film noir et au film d’horreur des années 40-50 et nous livre son film le plus personnel depuis A tombeau ouvert.

Un formidable film de genre
Car Shutter Island est avant tout un formidable film de genre. Sur une intrigue digne de Gaston Leroux ou Maurice Leblanc – des agents du FBI enquêtent sur la mystérieuse disparition d’une patiente dans un hôpital psychiatrique situé sur une île au large de Seattle –, Scorsese se plie complètement aux règles du genre : costumes, décors, musique, personnages mystérieux, rebondissements, climat de claustrophobie et de paranoïa, tous les codes sont là. Magnifiés par son équipe technique, notamment Dante Ferreti aux décors, la fidèle Thelma Schoonmaker au montage, et Leonardo DiCaprio à l’interprétation notamment. Il faudrait également mentionner toute la galerie de seconds rôles, en particulier Jackie Earle Haley, vu dans Watchmen et Little Children, en attendant Les Griffes de la Nuit.

Mais surtout, Marty transcende le genre en y insufflant sa vision. OK, n’ayant pas lu le livre, je ne peux juger si sa vision est conforme ou non à l’esprit de son matériau d’origine. En même temps, on s’en fiche, non ? Surtout quand la puissance visionnaire d’un Scorsese s’empare d’un tel matériau.
Car derrière l’intrigue aux multiples rebondissements se dessine le portrait terrifiant d’une humanité dévastée. Souvenez-vous : Les Infiltrés s’achevait sur une image glaçante, celle d’un rat gambadant sur un balcon, après une boucherie en série. Image singulière s’il en est. Sur Shutter Island, ce n’est pas un, mais de multiples rats qui végètent à foison dans un univers en proie aux tempêtes et aux fantômes. Ce qui permet au réalisateur de se confronter à l’onirisme et aux rêves cauchemardesques – incursion gagnée de haute main, tant ces scènes impriment longtemps la rétine des spectateurs…

Film cerveau labyrinthique

Film cerveau labyrinthique, enquête d’identité, Shutter Island brosse un tableau sombre et pessimiste de l’humanité – tableau qui contraste avec l’enthousiasme et l’énergie créatrice de son réalisateur, à la vitalité euphorisante. Un film d’une tristesse infinie, qui dresse le constat de l’absolue solitude de l’homme dans un monde qui n’offre plus aucune des échappatoires à laquelle se raccrochait antérieurement le héros scorsesien : le couple, la violence, la drogue, ou Dieu (sur Shutter Island, « Dieu est violence »…). Lui reste la folie, et l’incroyable alternative qui résume la métaphysique scorsesienne : vivre en monstre ou mourir en homme bien. Dans un monde au goût de cendres, aux lointaines effluves bergmaniennes (cf la présence de Max von Sydow au casting, et des décors qui rappellent L’Oeuf du serpent).

Bref, pour être clair, on sort de ce polar complètement ravagé, abasourdi, KO. Devant la maîtrise d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens depuis maintenant une bonne vingtaine d’années. Et devant l’évolution d’un regard de plus en plus sombre et pessimiste. Devant - si le terme n’était pas aussi galvaudé – ce chef-d’œuvre. Embarquement immédiat !

La citation du jour :
« Chaque homme est seul, (…) et ses douleurs sont une île déserte » - Albert Cohen.


Travis Bickle

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2 commentaires:

French Ketchup a dit…

Super billet

MArcel MArtial a dit…

J'allais le dire !
En tous les cas j'avais rencontré MArty a l'occasion d'AVIATOR. Il me donnait l'impression d'avoir physiquement 90 ans.Je me suis dit...aie, ça sent le sapin. 2 ans apres on lui a remis l'oscar du meilleur film pour Les infiltrés, loin d'être son meilleur. Je me suis dit...aie, ça sent vraiment le sapin. Mais son discours était cohérent et il avait raconté comment il se faisait des projos en bobine chez lui des Enfants du paradis... Bref, le bonhomme est en acier inoxydable.