En DVD : Avec son titre en forme de mot d'ordre générationnel, Rien à foutre embarque les spectateurs dans le sillon d'une hôtesse de l'air bossant pour une compagnie low cost. Le film d'Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, aussi édifiant qu'émouvant, donne ainsi l'occasion à Adèle Exarchopoulos de livrer une formidable prestation.
Cassandre est hôtesse de l'air chez Wing, qui transporte pour pas cher des passagers aux quatre coins de l'Europe. Avec ses collègues, la jeune femme est soumise à la pression permanente de sa hiérarchie pour faire du chiffre en vol. Les journées se succèdent comme dans Un jour sans fin : petits matins blafards dans les couloirs d'aéroport, vols cheap vers l'Espagne ou la Pologne, hôtels impersonnels, quelques fiestas, de l'alcool, beaucoup trop d'alcool...
Cassandre semble en effet n'en avoir rien à foutre. Elle bosse sans motivation, comme imperméable aux conditions de travail déshumanisantes auxquelles elle est soumise. La violence des rapports sociaux saute aux yeux du spectateur, ceux de Cassandre sont éteints. Elle accepte les injonctions et rappels à l'ordre, se soumettant à un système de notation qui la réduit au rang de caisse enregistreuse. Quand elle conteste parfois l'inique, c'est pour la forme. La jeune femme fait le dos rond et offre un sourire professionnel qui a tout d'une grimace. Tout juste s'autorise-t-elle à rêver d'intégrer Emirates, dont les magnifiques hôtesses lui apparaissent comme des icones intouchables.
Une fois à terre, Cassandre retrouve un appart en copiaule avec des collègues dans un condominium sans âme en Espagne. Un paradis artificiel. Elle drague sur les réseaux sociaux, enchaîne les relations d'escale, carbure aux mini-bouteilles de vodka qu'elle pique dans les avions. Avec son approche naturaliste, qui évoque parfois la série Strip-tease, le duo de réalisateurs capture des instantanés de vi(d)e qui en disent plus sur le monde du travail "ubérisé" que bien des documentaires. Rien à foutre, c'est peut-être aussi ce que nous pensons, nous les voyageurs, vis-à-vis de ces forçats du ciel. Mais Marre et Lecoustre n'ont rien à foutre de signer un énième Complément d'enquête. Ce qui les intéresse, c'est leur personnage principal, dont ils mettent en scène la poignante solitude. D'ailleurs, la vacuité de son existence pourrait nous détourner de Cassandre et susciter l'ennui. C'est tout le contraire qui se produit à l'écran.
D'abord parce que les réalisateurs savent immortaliser des moments apparemment insignifiants mais qui en disent long, parce qu'ils pratiquent le plan long (parfois un peu trop) qui instaure une atmosphère en même temps qu'il permet aux comédiens professionnels et aux interprètes issus du transport aérien d'exprimer leur sensibilité dans un cadre très libre. On s'accroche également au sort de Cassandre car elle dévoile progressivement, par bribes, un drame familial qu'elle semble avoir digéré. Mais on comprend très vite qu'il n'en est rien et que son choix de vie est surtout une fuite en avant. Plus dur sera l'atterrissage.
Adèle en première classe
Cette jeune femme que l'on pensait frivole nous touche. Et c'est aussi grâce à l'interprétation d'Adèle Exarchopoulos, qui lui prête sa moue désabusée et son regard perdu. La comédienne retranscrit ses états d'âme sans esbrouffe. Un rire étouffé lors d'un moment inadéquat, une larme qui coule en silence. Adèle nous captive d'un bout à l'autre du film, avec un jeu naturel qui révèle sa grande maturité et tout son talent.
Condor Distribution a soigné l'édition vidéo en proposant avec le DVD du film, une deuxième galette incluant des entretiens notamment avec les cinéastes et la comédienne qui évoquent leur démarche, le tournage souvent à l'arrache et le bel accueil à La Semaine de la Critique 2021. Egalement au menu, deux courts-métrages d'Emmanuel Marre réalisés dans la même approche libre et qui nous font rencontrer des personnages cassés et touchants.
Anderton
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