vendredi 1 juin 2012

Interview David Cronenberg : “Quand je fais un film, je ne pense pas aux précédents”


Artistes : En compagnie d’une dizaine de blogueurs (cf en fin d'article !), nous avons rencontré le réalisateur de Cosmopolis. En 30 minutes, nous avons parcouru quelques aspects saillants de son dernier opus : son travail sur le son, son exploration des dialogues et du langage, son casting, son intérêt pour la peinture, les connexions que l’on peut établir avec le reste de son oeuvre. Précis, direct, avec pas mal d’humour, David Cronenberg s’est volontiers prêté au jeu des questions-réponses – un jeu malheureusement toujours trop court pour approfondir son oeuvre protéiforme, surtout quand ses propos, as usual, respirent l’intelligence.

C'est donc Paolo Branco qui vous a proposé d'adapter l'ouvrage de Don DeLillo à l'écran, réputé inadaptable.

Paolo Branco est venu à Toronto. Je ne le connaissais pas en personne, mais certains des films qu'il avait produits, oui. Il m'a parlé d'un livre dont il pensait que je pouvais pouvoir le porter à l'écran, Cosmopolis. J'avais déjà lu plusieurs romans de Don DeLillo, mais pas celui-là. Ce qui m'avait frappé, ce sont ces dialogues. C'est ce qui m'a donné envie de l'adapter au cinéma. Et je souhaitais voir des acteurs énoncer ces merveilleux dialogues, qui sont à proprement parler cinématographiques. 



Pourquoi avoir choisi Robert Pattinson ?

Et pourquoi pas !? C'est une bonne réponse que de vous répondre cela. En fait, plusieurs questions se posent au metteur en scène : quel âge a le personnage ? Quel acteur peut adopter un accent américain ? Et en même temps, il faut prendre en compte le fait qu'il s'agit d'une co-production franco-canadienne. Ca peut donc être un problème d'avoir un acteur américain - le seul acteur américain du film étant Paul Giamatti. Or Robert Pattinson a le bon âge – 25 ans ; il est Anglais, donc la nationalité qui convient ; il est célèbre depuis Twilight, ce qui facilite le montage du budget – un peu comme Viggo Mortensen avec Le Seigneur des Anneaux. La question n'est donc pas de savoir quel est le meilleur acteur pour le personnage, mais prendre en compte toutes ces considérations.

Vous avez souvent déclaré que l'essence du cinéma, c'est filmer un acteur en train de parler. Par essence, cela voudrait-il dire que Cosmopolis est votre film le plus cinématographique ?

On peut penser d'un dispositif qu'il est théâtral. Les 20 dernières minutes du film - qui se passent dans une pièce entre 2 personnages -  on pourrait penser que c'est théâtral. Et ça ne l'est pas du tout. C'est complètement cinématographique. D’abord parce qu'il n'y a pas de scène ! Ensuite, il y a des gros plans et des mouvements d'appareil. Ce que je voudrais surtout montrer, ce qui m'intéresse dans cette séquence, c'est filmer les visages de ces personnages en train de s'exprimer. C'est donc du cinéma, pas du théâtre.

Depuis A Dangerous method, beaucoup disent que votre cinéma est devenu verbeux. En tant que cinéaste de la contamination, vous intéressez-vous au langage comme virus ? Dans Le Festin nu, Burroughs dit que le langage est lui-même un virus.

 En fait, en tant que scénariste et metteur en scène, on ne peut pas ignorer le dialogue. J'ai toujours été intéressé par les dialogues. C'est ce qui va être directement transposé à l'écran. Bien sûr, dans A dangerous method, il y avait beaucoup de dialogues, comme également Le Festin nu ou Faux semblants ! Je ne pense pas en termes conceptuels. Ce n'est qu'a posteriori qu'il peut être intéressant d'analyser tout ce travail. Ce qui me motive, c'est le développement d'un personnage, la mise en scène, les dialogues. Je ne peux pas utiliser des concepts abstraits pour construire le film. Par exemple, je ne peux pas dire à un acteur « Incarnez-moi le symbole du capitalisme » !

Ce qui frappe dans votre film, c'est le traitement du son, notamment le silence qui règne dans la limousine. Cela lui donne un côté science-fiction, comme un vaisseau spatial qui traverserait l'humanité. Est-ce une idée que vous aviez en tête ?

En fait, l'une de mes intentions était de montrer qu'Eric Packer avait créé son propre univers dans la limousine. Et de le couper de la vitalité qui se dégage de la ville et de l'extérieur de la limousine. Il force les autres personnages à le rejoindre dans son véhicule, que ce soit pour un rapport sexuel, pour une discussion philosophique ou une consultation médicale. Son rapport au monde s'exerce depuis la limousine. C'est son point de vue qu'on adopte. Votre analogie avec une navette spatiale fonctionne. Sa limousine est comme un sous-marin, une cellule de prison ou un cercueil. Mes ingénieurs du son étaient assez inquiets du fait qu'on n'entende ni le son des roues ni le vrombissement du moteur. C'était parfaitement délibéré, puisque ça me permettait d'accentuer le fait qu'il est complètement coupé du monde.

Filmer le chaos du monde, est-ce un moyen pour vous de filmer la destruction d'un corps ?

J'ai plutôt essayé de filmer une déconnexion du corps, plutôt qu'une destruction. Eric Packer est déconnecté de tout, y compris de son propre corps. D'une certaine façon, il a déjà abandonné son corps. On aboutit à une forme de suicide. Même si le suicide peut être considéré comme une destruction du corps, c'est aussi une destruction de l'esprit.

Vous commencez votre film sur un tableau de Pollock et l'achevez sur une oeuvre de Rothko. Pourquoi ce choix ?

Dans le film, Eric Packer se montre intéressé par l'art contemporain : il évoque Rothko,  c'est probablement un collectionneur d'art contemporain. Il essaie d'acquérir la chapelle de Rothko parce qu'il essaie d'acquérir la spiritualité et la sérénité que lui-même n'a pas. La seule manière pour lui de l'acquérir, c'est de l'acheter. Il ne se rend pas compte que pour parvenir à cette sérénité, ce n'est pas en l'achetant. C'est pour cette raison que j'ai choisi de montrer d'abord du Jackson Pollock, de l'action painting, pour montrer son état d'esprit initial : frénétique, chaotique. Et progressivement, selon le mouvement décrit par le film, il acquiert une certaine forme de sérénité, et que représente la peinture de Rothko.

On aperçoit dans Cosmopolis l'affiche de votre précédent film, A Dangerous method. Pourquoi ? Est-ce intentionnel ?

C'est un coup de mon chef décorateur ! Ca lui plaisait, c'est de son fait.

Vous avez choisi de tourner Cosmopolis dans l'ordre chronologique, ce qui est assez rare. Est-ce une méthode que vous pratiquez sur tous vos films ?

Il est très difficile de tourner dans l'ordre chronologique. C'est rarement possible d'un point de vue logistique. Pour Cosmopolis, l'ordre chronologique de tournage a été rendu possible. Cela permet aux comédiens d'être en adéquation avec l'évolution de leurs personnages. Et je suis très heureux du résultat. Mais c'est accidentel. De tous mes films, c'est certainement celui dont le tournage a le plus respecté l'ordre chronologique du scénario.

Après History of Violence, avec Cosmopolis, diriez-vous que vous avez tourné History of capitalism ?

Pour moi, il n'y a pas de lien direct. Quand je fais un film, je ne pense pas aux précédents. Bien sûr, on pourrait penser qu'il y a une sorte de schéma directeur qui rapprocherait tous mes films. Mais ce n'est pas vraiment le cas. Certes, il y a un discours et un propos sur le capitalisme dans Cosmopolis. Mais je ne pense pas qu'il soit lié à History of Violence.

Merci à Anne de BlogAngels pour cette belle rencontre ! Amical salut à Vodkaster, Le Passeur Critique, InthemoodforCinema, FilmGeek, Phil Siné – pardon à ceux que j’omets bien involontairement !


Travis Bickle & co

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