lundi 23 janvier 2017

La La Land : un peu plus près des étoiles...

En salles : Précédé d’un énorme buzz porté par les projections triomphales à la dernière Mostra de Venise et à Toronto, confirmé par sa moisson de Golden Globes, en attendant les Oscars, La La Land est encore mieux que cela – c’est dire !

 
Après le déjà formidable, mais très noir, Whiplash, Damien Chazelle confirme tous les espoirs qu’on avait en lui avec ce La La Land qui renoue avec le secret qu’on croyait perdu des grandes comédies musicales des années 1950. Mieux : en y intégrant l’héritage de Jacques Demy, il transcende le genre et nous offre le plus beau cadeau qu’on pouvait rêver en ces temps de crise - euphorique et sombre, joyeux et mélancolique. Qui redonne au cinéma une place centrale dans un monde marqué par la profusion d’images en tout genre : celle d’augmenter la réalité et de la rendre un tout petit peu plus belle. Décryptage.

Synthèse idéale Minnelli-Demy

Dans le cadre de la cité des anges, une actrice qui débute, un pianiste jazzy qui galère, se croisent pour finir par se rencontrer s’aimer et... pas de spoiler ! Une intrigue toute simple, qui aurait pu faire l’objet d’un moyen métrage en noir et blanc à la Cassavetes. Mais qui en format scope, éclairé comme jamais, sous l’œil d’une caméra virevoltante, devient une ode universelle, hors du temps, gorgée d’émotion, à l’amour, à nos combats quotidiens pour animer nos passions dans un quotidien qui fait tout pour nous en empêcher... Telle est la magie du film : toucher des thèmes universels à partir d’une intrigue toute bête, dans l’écrin d’une comédie musicale en rose et noir, acidulée comme les chefs d’œuvre de Jacques Demy, flamboyante comme ceux de Vincente Minnelli, lucide et grave que ceux de Geoge Cukor. A telle enseigne qu’une des scènes les plus mémorables est un face à face, champ contre-champ dans un deux pièces-cuisine, sans musique ni mélodie !
 


Respect pour Damien Chazelle

Nom frenchie pour cet Américain pur jus de 31 ans, né d’un papa français mathématicien et d’une maman américaine prof d’histoire. Avec son deuxième long métrage, dont il avait entamé l’écriture il y a plus de 10 ans, dans la foulée de son premier moyen métrage, Guy and Madeline on a Park Bench, une romance jazzy en noir et blanc, (tiens, tiens, une sorte de brouillon), il s’impose dans le paysage du cinéma définitivement. Comme Coppola, Scorsese ou Lucas en leur temps : avec son équipe – lumière de Linus Sandgren, montage de Tom Cross, costumes de Mary Zophres, musique de Justin Hurwitz -, avec un projet fort, en toute indépendance des grands studios et le soutien de Lionsgate, en rendant hommage à ses glorieux prédécesseurs – Cukor, Minnelli -, en dépoussiérant un genre extrêmement codifié, et que les tentatives d’un Baz Luhrman (Moulin Rouge), Woody Allen (Tout le monde dit I love you) ou Christophe Honoré (Chansons d’amour) ne sont pas parvenues à remettre sur le devant de la scène avec autant de culot pop et de respect intègre. Une démarche qui force... le respect.

Réalisation pop !


Nulle trace d’ironie ou de second degré, ici. Nulle trace non plus de pastiche ou d’hommage compassé nostalgique et passéiste. Et c’est là tout le prix de cette comédie musicale : ses audaces qui, à l’instar d’un Jacques Demy, lui permettent d’intégrer le trivial à l’univers enchanté et ensoleillé du genre musical. Combien de réalisateurs se sont-ils cassés les dents pour réussir cette combinaison de naturel absolu et de haut degré de technicité et de préparation ? Et ce qui ne gâche rien à l’affaire, cette comédie musicale regorge d’allusions et de citations qui feront le bonheur des cinéphiles : de La Fureur de vivre aux Parapluies de Cherbourg en passant par Les Tueurs de Siodmak pour les plus évidentes, de All that jazz à One from the heart pour les plus allusives. Mais elles n’encombrent jamais la fluidité d’une réalisation qui se veut aérienne, au cœur de la musique et de la chorégraphie, sans aucune équivoque ni second degré.
 
Glamour, glamour, glamour

Prévu au départ pour Miles Teller – le héros de Whiplash – et Emma Watson – Hermione….- La La Land possède la touche de glamour indispensable pour devenir un classique grâce à son couple d’acteurs. Avouons-le : j’avais très peur de Ryan Gosling, acteur un peu trop lisse, sans réelle aspérité. Là, il balaye toutes les réticences pour s’imposer en crooner-pianiste jazzy désabusé, et sauvé par l’amour. S’il ne possède pas la flamboyance d’un Gene Kelly en matière de danse, son allure dégingandée, butée et entêtée, avec une  le rapproche d’un Gary Cooper. Et sa voix révèle des intonations entre Richard Hawley et Tom Waits - la classe, quoi. Et que dire de sa partenaire, la si jolie Emma Stone ? Déjà sublimée par Woody Allen dans Magic in the moonlight, elle irradie de beauté et d’émotion le film. Et vous ne serez pas près d’oublier ses auditions, face caméra, où elle déploie une palette d’émotions extrêmement justes et précises, qui se déploient dans ses deux grands yeux verts, appelés à devenir le symbole du Hollywood du XXIe siècle. Mutine et femme fatale à la fois, il y aura un avant et un après La La Land pour elle, c’est certain.

Plein de lala dans la tête !
Justin Hurwitz. Retenez bien son nom. C’est lui qui a composé la BO du film. BO brio, BO exceptionnelle, qui mixe inspirations puisées chez Michel Legrand, George Gershwin, Cole Porter. Et se paye même le luxe de réorchestrer quelques tubes des années 80, dont ceux de Aha ! Bientôt, les mélodies entêtantes de City of stars, Another day of sun entreront au panthéon de la comédie musicale, au même titre que Singin in the rain, Maria ou Do-Re-Mi. En attendant, ils vous trotteront dans la tête, que vous avez vu le film ou non !

Los Angeles, city of stars
Depuis quand L.A. n’avait-elle été aussi sublimée au cinéma ? Certes, Michael Mann et les virées nocturnes de Tom Cruise dans Collateral ; certes, Mullholland Drive et ses volutes vénéneuses et oniriques ; certes, Chinatown, et sa tentative néo-vintage ; Blade Runner, et son décorum futuriste apocalyptique, En 4e vitesse et son atmosphère paranoïaque... Et on pourrait citer The Big Lebowski, Chantons sous la pluie, Une Etoile est née, Sunset Boulevard, Short Cuts, Magnolia. Ici, du coucher de soleil sur les hauteurs de Griffith Park à la freeway de Los Angeles en passant par l’observatoire Griffith, Damien Chazelle parvient à la rendre aérienne, solaire, entraînante, euphorisante, énergisante, comme jamais vue auparavant. Et ça, pour une ville autant filmée, chapeau l’artiste !
 
Travis Bickle

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