Artistes : Il est un des rares cinéastes français à avoir laissé son nom à un genre : les films dossiers à la Boisset. Souvent malmené par la critique, Yves Boisset se raconte dans son autobiographie parue en 2011 chez Plon, La Vie est un choix. Réalisateur désormais considéré classique, qui continue de tourner pour le petit écran des fictions ambitieuses – L’Affaire Dreyfus, Le Pantalon, Laval –, il est de la même génération que Tavernier, Corneau ou Miller. Son heure de gloire, il la connaît dans les années 70, émaillées de quelques scandales, notamment avec la censure.
Parcourir son autobiographie, c’est revivre 30 ans du de cinéma français, un parcours exemplaire d’un enfant de la Libération, très tôt cinéphile, assistant-réalisateur réputé (Melville, Clément, Sautet), avant d’entamer une œuvre bien plus éclectique qu’on ne le pense – films-dossiers, donc, mais également polars, satires, chroniques adolescentes, drames, comédies dramatiques. Qui ont pour traits communs la volonté de dénoncer la bêtise, les compromissions, la corruption. Et au cours desquels on croise Patrick Dewaere, Miou-Miou, Jean Carmet, Isabelle Huppert, Annie Girardot, Fred Astaire, Sterling Haydn ou Lee Marvin. Et de fameux seconds rôles, de Jean Bouise à Jean-Marc Thibaut, en passant par Roland Blanche ou Marcel Bozuffi.
30 ans dans la vie d’un réalisateur qui tourne un film (TV ou cinéma) par an sans interruption depuis 1968, et qui se raconte avec chaleur, beaucoup d’anecdotes. Et qui dessinent en creux le portrait d’un cinéaste exigeant avec lui-même, populaire, et brillant conteur. Occasion de s’attarder sur son œuvre dans le détail.
Parcourir son autobiographie, c’est redécouvrir son passé d’assistant réalisateur. Aux côtés d’Yves Ciampi, d’abord, qui lui met le pied à l’étrier. Cinéaste très populaires dans les années 50, complètement oublié depuis. Son film le plus célèbre ? Les héros sont fatigués. Qui aurait pu "devenir une sorte de Costa Gavras avant l’heure", d’après Boisset.
Aux côtés de Jean-Pierre Melville, ensuite, notamment sur L’Aîné des Ferchaux. Ce qui permet à Boisset de dresser un portrait chaleureux, mais sans concession du maître. Et de livrer un intéressant contre-point à la brouille Melville-Belmondo que relate Bertrand Tavernier dans son documentaire Voyage à travers le cinéma français. Au passage, il révèle avoir alors refusé les services d’un figurant américain, alors en quête de seconds rôles : Robert De Niro. Reste néanmoins une admiration sans borne pour le cinéaste, féru de films noirs, avec lequel il regardait sans cesse Le Coup de l’escalier, de Robert Wise.
Aux côtés de Claude Sautet, enfin, dont il retrace le tournage épique de L’Arme à gauche, qui faillit tourner à la catastrophe, digne de celui d’Apocalypse Now. Un cinéaste auquel il doit beaucoup.
René Clément, autre grand maître qu’il assista sur le tournage de Paris brûle-t-il ?, bien davantage en confident qu’en assistant. Super-production, dont le réalisateur faillit être débarqué au profit de John Frankenheimer. Et émaillé par les sarcasmes d’Orson Welles, qui méprisait René Clément, au point de l’affubler du sobriquet de "le petit homme".
Autres cinéastes évoqué par Yves Boisset : Vittorio de Sica et Norman Jewison, pour des films insignifiants, mais qui donnent l’occasion au cinéaste de brosser des portraits chaleureux. Enfin, de son passé d’assistant multi-terrain, domine une anecdote savoureuse : sa rencontre avec Stanley Kubrick, qui le missionne de lui ramener des photos de paysages lunaires en vue du tournage de 2001 L'Odyssée de l'espace. Ce qui lui permet de faire le tour du monde en à peine 3 mois, dans des conditions mirobolantes, assurées par la MGM.
Moins connus, peu diffusés, les premiers films d’Yves Boisset regorgent d’anecdotes, qui donnent envie de les découvrir : Les Jardins du diable, sorte d’hommage aux Chasses du comte Zaroff, rebaptisé en plein tournage en Coplan sauve sa peau (1968), pour lui assurer un minimum de succès commercial ; ses rapports avec Antoine Blondin, avec lequel il co-écrit Cran d’arrêt (1969), polar sado-masochiste pour lequel il découvre dans les rues de Milan une inconnue, qui deviendra Agostina Belli, et auquel une partie de la critique "accorda une importance qu’il ne mérite peut-être pas complètement" ; Un Condé (1970) prévu initialement pour Claude Sautet et Lino Ventura, pamphlet dénonçant les méthodes d’un flic aux limites de la légalité, qui s’attire les foudres du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin et qui permet à Yves Boisset d’"imposer durablement une sorte de marque de fabrique". Enfin, Le Saut de l’ange (1971) lui permet d’orchestrer un duel Jean Yanne-Sterling Haydn, sur fond de magouilles sur la Côte d’Azur et de French connection, et qualifié par son réalisateur de "bande dessinée frénétique et vaguement situationniste".
Découvrez la suite de notre rétrospective Yves Boisset :
Yves Boisset : de L'Attentat à La Femme flic, la décennie prodigieuse (2/3)
Yves Boisset : d'Allons z'enfants à Canicule (3/3)
Yves Boisset : de L'Attentat à La Femme flic, la décennie prodigieuse (2/3)
Yves Boisset : d'Allons z'enfants à Canicule (3/3)
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