lundi 17 septembre 2018

8 clés pour comprendre Alain Delon

A lire : Acteur génial et personnalité ambiguë, Alain Delon suscite autant d'admiration que de rejet. Rares sont ceux ayant pu percer son mystère. Une entreprise qui n'a pourtant pas rebuté l'écrivain Jean-Marc Parisis. Dans Un problème avec la beauté, sous-titré Delon les yeux et publié chez Fayard, l'auteur signe un récit enlevé sur la vie d'un homme devenu mythe. Avec quelques clés d'analyse pour comprendre la fascination/répulsion qu'il provoque. Nous en avons identifié au moins huit.



Clé n° 1 : un traumatisme fondateur
Sans tomber dans la psychanalyse de comptoir, Parisis pointe le choc majeur qu'a provoqué le divorce de ses parents alors qu'Alain est enfant. Sa mère se remarie avec un charcutier de Bourg-la-Reine mais place Alain chez une nourrice, à Fresnes. Une "douleur morale" que l'acteur évoquera parfois. Avec pour conséquence que "le jeune Delon exhalait une mélancolie native, pure" que seuls de grands metteurs en scène, au premier rend desquels Luchino Visconti, sauront capter. Ce traumatisme en fera également un grand angoissé, capable d'éruptions de colère.

Clé n°2 : la beauté comme malédiction
Sa beauté, l'acteur en a eu conscience très tôt. "Delon poussait le mystère, l'injustice, le scandale de la beauté à son comble", écrit Parisis. Elle lui sert pour lancer sa carrière mais il apprend à la dompter, conscient qu'elle pourrait étouffer son talent. Ainsi l'acteur refuse-t-il progressivement d'être maquillé, "le fond de teint l'aurait rendu trop lisse, (...) inhumain". Et l'écrivain d'avancer : "'Sale', il était plus beau, plus vrai, plus viril". Et la caméra "l'aimait" ainsi.

Les Aventuriers (Robert Enrico, 1967)

Clé n°3 : un acteur, pas un comédien
Alain Delon a toujours fait la distinction entre l'acteur et le comédien, le premier incarnant finalement toujours le même personnage. A l'instar de Jean Gabin, qu'il vénérait, "il ne jouait pas ses rôles, il les vivait". Parisis enfonce le clou : "La loi de l'acteur veut que ce qui figure et défigure sa vie rejaillisse dans ses films". D'où la gravité des rôles qu'il interprétait. Delon "ne plaisait, ne fascinait que dans des rôles noirs, violents, héroïques". Ses personnages mouraient souvent, sans que cela provoque la compassion du public. Car la mort "ramenait [cet homme à la beauté et au talent insolents] au niveau du commun des mortels", elle "l'humanisait". Pour qualifier son style de jeu, Parisis évoque le "réalisme surnaturel".


Clé n°4 : la fidélité plutôt que la passion
Quelques grands amours ont traversé la vie d'Alain Delon : Romy Schneider, qui deviendra sa fiancée ; Nathalie Delon, qu'il épousera et avec qui il aura un fils, Anthony ; Mireille Darc, qui sera sa compagne pendant 15 ans. La passion s'émoussera à chaque fois ; les ruptures ne seront pas toujours élégantes : par lettre pour Romy, à la télévision pour Nathalie. Pour autant, il n'abandonnera jamais celles et ceux qu'il a aimés. Il sera présent à la mort de Romy, au chevet de Mireille après son grave accident puis lorsqu'elle s'éteindra sur un lit d'hôpital. Présent encore à la mort de Gabin ou de Melville, malgré leur brouille. Delon "fait primer les lois de la fidélité sur celles de la passion".

Clé n°5 : les mauvaises fréquentations
Le mari de la nourrice de Delon est surveillant à la prison de Fresnes. Le petit Alain joue avec les autres enfants de matons, dans une cour à proximité de l'établissement pénitentiaire. Ce ne sera pas la seule fois où l'acteur approchera les mauvais garçons et visitera des amis derrière les barreaux. Jeune homme, il traîne à Pigalle, fait des rencontres. Devient pote avec des bandits corses et des parrains marseillais. S'entoure de sulfureux hommes de mains serbes. L'un d'eux, Stevan Markovic, est retrouvé mort. Magouilles, rumeurs impliquant la femme du président Pompidou... Pendant sept ans, l'acteur sera au coeur de l'enquête judiciaire, interrogé à de multiples reprises par la police et le juge d'instruction. Avant d'être mis hors de cause en 1976. Jamais Delon ne tournera le dos à ses fréquentations douteuses. Fidèle à lui-même et à ceux qu'il aime.

Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967)

Clé n°6 : l'indépendance à tout prix
Si Alain Delon se soumet aux volontés des cinéastes qu'il admire (Visconti, Melville), il donne souvent du fil à retordre aux autres. Autoritaire, entier. Une fois devenu star, il décide de prendre sa carrière en main, produisant ses propres films, dont il peux choisir les réalisateurs, l'équipe technique et ses compagnons de jeu. Avec pour résultat, quelques grandes oeuvres (Borsalino, Monsieur Klein) mais aussi pas mal de nanars (Ne réveillez pas un flic qui dort, Dancing Machine). Il faut dire que l'acteur déteste le milieu du cinéma, dont il s'affranchit en capitalisant sur sa beauté et son nom, lançant parfums, vêtements, bagages...


Clé n°7 : l'incompréhension permanente
Les Guignols de l'Info se moquaient d'Alain Delon, dont la marionnette parlait systématiquement à la troisième personne. Son mutisme, sa méfiance envers les journalistes, son air hautain ne rendent pas l'acteur très sympathique. Selon Parisis, il est même incompris : quand Delon parle de lui à la troisième personne, c'est en tant que producteur évoquant sa star. Une distanciation qui révèle sa pudeur.

Clé n°8 : la solitude pour compagne
Rongé par ses blessures personnelles, incompris, déçu des hommes (y compris de ses proches), Alain Delon a très tôt ressenti le besoin de se retirer du monde. "Sa solitude était aussi celle de sa beauté." Il achète une vaste propriété ceinte de hauts murs dans le Loiret. Il s'y retranche avec les oeuvres d'art qu'il collectionne et surtout ses chiens, les seuls compagnons qu'il apprécie. C'est en ce domaine, à Douchy, qu'il souhaite être enterré, aux côtés de ses bêtes. Pour le cinéaste Joseph Losey, Delon était une tragédie. Un personnage shakespearien.

Formidable interview par Christian Dufaye, de la RTS (1975)

Jean-Marc Parisis parvient à nous faire entrer dans la psychologie d'un homme à la fois adulé et mal aimé. Il ne tait rien de ses failles, de ses défauts. Il tente d'expliquer ses apparentes incohérences, même s'il survole un peu trop rapidement à mes yeux ses prises de position politiques et sociétales. Pour autant, son récit, qui se lit comme un roman, offre une vision originale sur un artiste incontournable. Comme le résume Alain Delon dans un entretien : "On peut ne pas aimer l'homme mais on ne peut pas discuter l'acteur Delon".



Anderton

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