jeudi 14 mai 2020

Léo Soesanto : mon Festival de Cannes à la maison

Buzz : En mai, fais le Festival de Cannes qui te plaît ! Nous avons donc soumis notre Questionnaire cannois 100% confinement à Léo Soesanto. Journaliste de cinéma (notamment pour Libération), il est également programmateur au Festival de Rotterdam et coordonne la sélection des courts métrages à la Semaine de Critique du Festival de Cannes. Léo a préféré nous raconter la journée-type de son festival à la maison. In the mood for loft...


"Il est 8h30, la séance va commencer. Premier poids en moins de ce festival confiné : on ne s’est pas réveillé une heure avant pour courir à la première projection après un petit-déjeuner et une toilette approximatifs. Pour reproduire l’effet « festivalier chiffonné », on peut s’extirper de son propre bout de canapé (pour une fois gratuit), tout habillé comme la veille pour garder cette couche de crasse tout aussi physique qu’existentielle et avaler trop vite un café brûlant. Tout est donc à portée de bras pour se faire son propre Cannes sans traverser la Croisette, qui se réduit à une longue rue descendante du XXe arrondissement parisien où les éboueurs n’ont pas encore trop fait de zèle, où les queues devant certains magasins évoquent des images familières d’attente, de trépidation face à son catalogue, son smartphone où une vague connaissance qui vous rappelle que la meilleure fête était celle où vous n’étiez pas. Et puis on imagine, dans un monde parallèle, les files de festivaliers d’un Cannes 2020 respectant la distanciation sociale, s’étirant jusque Nice. 

Je parle cinéma avec la seule interlocutrice qui vaille la peine, toujours d’accord avec moi parce que je la nourris, la promène et lui fais faire ses besoins : ma chienne Roxy (non, je ne l’ai pas volé à Godard). Tous les jours, je monte et descend avec elle les marches menant à mon appartement. Elles ont connu des jours meilleurs mais je peux me prendre en selfie sans me faire réprimander. Parfois, je croise la maîtresse des lieux en hauts des marches, qui m’accueille sans chichis ni protocole : ma concierge. Je n’ai jamais mangé d’aïoli ni à Cannes, ni ailleurs. Je préfère jeter des copeaux de foie gras trouvés en solde sur un plat de pâtes et m’auto-facturer 35 euros pour la peine. Voici un festival libre, mais où on songe à s’inventer des contraintes pour le mériter. Je vais peut-être boycotter Netflix, huer son logo en lançant Tyler Rake. Prendre des somnifères pour m’endormir devant un film. Allez chez ma voisine demander un Nespresso, celui avec la capsule verte. Fouiller mes propres sacs. M’interdire l’accès à telle pièce de la maison. Je ne porterai pas de smoking mais dégusterai cravaté une soupe de nouilles pour fêter les 20 ans de la projection cannoise d'In The Mood for Love.



Mais revenons au cinéma. Mon jury idéal est prêt à bosser dans ma tête, un peu comme toutes les personnalités de James McAvoy dans Split. Il y a Chloé Sevigny, Donald Glover, Tony Leung Chiu-wai, ma mère, Brian De Palma, Mattee Do, Matti Diop, Rihanna, Brian Eno et Zahia Dehar. 

Je lance les films. Ces dernières semaines, j’ai revu quelques films cannois comme Paris, Texas de Wim Wenders, Identification d’une Femme d’Antonioni ou Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino, où l’on cherche... des femmes. Prenons cela au mot. La compétition la plus expérimentale pour Cannes serait une sélection à majorité féminine et je me lance dans mon espace Miramar mental fraîchement rénové des films que je n’ai pas encore vue comme On The Rocks de Sofia Coppola, Ali et Ava de Clio Barnard, Passion Simple de Danielle Arbid, Selene 66 Questions de Jacqueline Lentzou, Bergman Island de Mia Hansen-Löve ou Playlist de Nine Antico. Rajoutons quelques réalisateurs pour la forme avec Benedetta de Paul Verhoeven, Annette de Leos Carax et Paradis Sale de Bertrand Mandico (bon d’accord, des sujets féminins). Je suis sûr que je n’aurai pas à les huer. Le seul film que je conspuerai (un peu) sera celui que je verrai par la fenêtre, un plan fixe un peu gris sur une cour intérieure et que je n’ai pas demandé. Pour me l’approprier, je mets à fond la chanson de Roxy Music : Same Old Scene."


Sur Twitter, suivez @leosoesanto 
Anderton

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