samedi 16 mai 2020

Michel Audiard : 100 ans en deux Blu-ray et un livre

Artiste : Michel Audiard aurait eu 100 ans le 15 mai 2020. Pas sûr qu'il aurait aimé célébrer son siècle d'existence dans le contexte actuel. Encore qu'il aurait certainement eu des choses à (re)dire. Des choses qui en auraient fait grincer plus d'un, y compris parmi ses admirateurs. Mais on ne va pas faire de politique fiction, juste revenir sur trois oeuvres sorties à l'orée du confinement et dont on n'a pas pu vous parler (ça aurait été moche de vous faire saliver alors qu'il fallait limiter les commandes à distance). Maintenant que vous pouvez retourner faire vivre vos boutiques et commerces préférés, jetez-vous sur deux blu-ray et un livre. Les premiers, édités par Gaumont, mettent en valeur Audiard cinéaste via son premier (Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages) et son quatrième (Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques) longs-métrages. Quant à l'ouvrage, publié par Dunod, il révèle les secrets d'Audiard dialoguiste.



Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages (1968)

Après une pelletée de films dont il a signés le scénario et/ou le dialogue, Michel Audiard décide de passer derrière la caméra. Certes, il avait déjà collé son oeil dans le viseur dès 1951 mais c'était pour un moyen métrage (La Marche). Et ce qui frappe, avec ce premier long, c'est la liberté du ton et la modernité de la mise en scène. Audiard aurait pu réaliser un film "qualité française" en misant tout sur ses répliques qui claquent - et il y en a un pacson (notamment le fameux "glaive vengeur et le bras séculier"). Que nenni ! A 47 piges, l'anar de droite nous prouve qu'il ne s'est pas embourgeoisé. Avec la fougue et l'irrespect d'un jeune turc qui n'a pas eu besoin de surfer sur la Nouvelle vague abhorrée, Audiard pond (avec Henri Viard et Jean-Marie Poiré) un polar loufdingue, dans lequel une tata rangée des braquages (Françoise Rosay) ressort la sulfateuse pour réparer l'offense faite à sa nièce Rita (Marlène Jobert), privée de sa part du butin après un casse - butin que se disputent deux malfaisants (Bernard Blier et André Pousse).

Et le "petit cycliste" (surnom du Michel) ne s'arrête pas là. Il propose une mise en scène pleine de vitalité et d'inventivité pour aboutir à une oeuvre pop, aux couleurs éclatantes, qui rend davantage hommage aux cartoons et au slapstick qu'au film noir, une oeuvre ancrée dans son époque, celle d'une France qui se transforme et remue. L'esprit de mai 1968 flotte au-dessus de cette marmite de POPtion magique. L'odeur du boeuf bourguignon côtoie celle du patchouli et de l'encens. Il y a même des vrais hippies dans le film. Certes, Audiard s'en moque un peu par l'intermédiaire de Françoise Rosay et de Paul Frankeur, mais quand même, il a le bon goût d'éviter de filmer des figurants affublés de perruques et de fringues à franges. Il fait même jouer à Mario David un rôle de transexuelle devenue bandit. Un personnage aussi haut en couleurs que les autres sans être une grossière caricature. Au-delà des sus-cités qui assurent à réciter leur Audiard, il y a aussi Jean Carmet, Dominique Zardi, Robert Dalban, Jean Luisi. Une belle brochettes de volatiles. Têtes d'affiche et seconds rôles s'en donnent à coeur joie.

Pop, le film l'est aussi dans ses décors, avec des intérieurs bariolés, flashy, truffés de sculptures modernes et de mobiles hypnotiques. Pop encore, la bande originale signée Georges Van Parys et Stéphane Varègues. Le plaisir est total, d'autant que la Gaumont nous propose une version restaurée de toute beauté. En prime, de multiples suppléments, dont des entretiens éclairants avec Marlène Jobert et Jean-Marie Poiré.


Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques (1970)

Je surkiffe ce film que Jean-Marie Poiré, à nouveau co-scénariste, épingle dans un bonus du blu-ray, évoquant une histoire un peu trop barrée dans laquelle les comédiens sont en roue libre. Je ne sais pas si, comme il l'affirme, Audiard s'est vraiment fait dépasser sur le tournage mais c'est justement la folie du film et la flamboyance des acteurs qui en font tout le sel. Il y a d'abord Alfred Mullanet (Michel Serrault), un loser intégral qui vit aux crochets de sa femme, gérante de sex-shop (Françoise Giret). Alfred Mullanet - ce nom, c'est tout un poème - se retrouve embarqué dans une sale histoire à l'insu de son plein gré. Voilà qu'on veut le faire voyager dans un cercueil à destination d'Istanbul. Deux truands se disputent son corps pas encore froid et son veston à gros boutons : Monsieur K (Bernard Blier) et Kruger (Paul Meurisse, dans une imitation de Jean-Pierre Melville). Sans oublier Mirabelle (Marion Game), sorte de cousine de Rita : ingénue, sexy, capricieuse... mais attention, les demoiselles sont loin d'être cruches. Il y a encore pléthore de seconds rôles impayables : Maurice Biraud, Jean Carmet, le tout jeune Gérard Depardieu, Dominique Zardi, Carlos, Romain Bouteille, Robert Dalban, Yves Robert, Moustache, Henri Cogan, Michel Modo...

Evidemment, les dialogues sont ciselés ("Dis donc, Alfred, t'as pas honte de rouler les bobs avec les mômes ?"). Sur le rythme endiablé du thème composé par Eddie Vartan (le frangin de Sylvie), les tribulations d'Alfred nous emmènent dans un pays en pleine modernisation accélérée. Les petits pavillons de banlieue côtoient les barres de HLM toutes neuves mais impersonnelles, qui avalent déjà leurs habitants. On sent bien qu'Audiard préfère la tuile au béton armé, le zinc du bistrot au silicone de la cafèt. Pour autant, qu'il filme bien ces incroyables gestes architecturaux ! On dirait des vaisseaux extra-terrestres ayant pris la petite couronne pour piste d'atterrissage. Ici aussi, les couleurs explosent dans les intérieurs des appartements. Et il y a cette séquence rare dans le cinéma français où Serrault se retrouve dans un appartement où des Noirs font la fête. Audiard rend visible une population invisible à l'écran. Mieux, à travers les personnages de Nancy Holloway et Darling Légitimus (la grand-mère de Pascal), il sort des stéréotypes de femme de chambre ou de majordome (même si Ibrahim Seck était excellent dans Le Tatoué). Etonnant, détonnant Audiard. Et encore une magnifique version, accompagnée de multiples bonus. Moi qui n'avais cessé de voir et revoir Le Cri du cormoran sur une VHS, j'ai redécouvert le film grâce à cette édition.



Sous la casquette de Michel Audiard (éditions Dunod)

On en connaît quelques-unes, des répliques au Michel. Y en a même qu'on peut sortir par coeur, avec la gouaille en prime. Mais sait-on vraiment d'où elles viennent, l'histoire qu'elles cachent ? Philippe Lombard, expert ès-Audiard, nous en dévoile les secrets dans un livre qui se dévore avec délectation. On replonge dans une langue populo et classe, qui n'est pas de l'argot et dont l'auteur révèle les inspirations, les emprunts et même les recyclages. Gabin, Blier, Céline mais aussi Verlaine, Apollinaire, Hugo ou Cicéron l'ont aidé à composer certaines de ses répliques. Voleur, Audiard ? Certainement mais aussi inventeur de génie. Et Philippe Lombard s'appuie sur ses dialogues pour évoquer la vie de l'artiste (notamment lors de l'Occupation), ses passions (le vélo et la littérature), ses drames... On se replonge dans un univers familier, avec ses trésors célèbres et ses pépites méconnues, qu'on redécouvre d'un autre oeil. Le pied.

Anderton

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