Buzz : Ramener le Cannes à la maison... c'est l'ambition de Cineblogywood. Nous avons donc adapté notre Questionnaire cannois et demandé à des habitués de la Croisette de nous parler de leur Festival de Cannes s'ils devaient l'organiser dans leur foyer. Aujourd'hui, parole au critique de cinéma Grégory Marouzé. Où il est question de Fritz Lang, de Monsieur Verdoux et The Thing mais aussi de paillasson.
Vous avez décidé d’organiser votre propre Festival de Cannes à la maison. Quels films – classiques ou inédits, présentés à Cannes ou non – retenez-vous dans votre sélection et pourquoi ?
Comme je n’ai vu aucun des films qui auraient pu être en compétition, je dresse une liste de longs-métrage que j’aime, qui me ressemblent. C’est une sélection à un instant "T". Un autre jour, j’aurais sans doute fait le choix d’autres films.
Le Roman d’un Tricheur (1936) de Sacha Guitry : Pour sa finesse d’écriture, sa voix off (la première de l’Histoire du cinéma, si je ne fais pas d’erreur, mais on peut me corriger), son insolence, sa légèreté autant que pour sa profondeur. Pour Sacha Guitry, évidemment.
Le Roman d’un Tricheur (1936) de Sacha Guitry : Pour sa finesse d’écriture, sa voix off (la première de l’Histoire du cinéma, si je ne fais pas d’erreur, mais on peut me corriger), son insolence, sa légèreté autant que pour sa profondeur. Pour Sacha Guitry, évidemment.
Monsieur Verdoux (1947) de Charles Chaplin : De tous les films de Chaplin, il est celui que je revois le plus. Cette évocation de Landru me fait hurler de rire, et me bouleverse tout à la fois. Chaplin y est au sommet de son art. Pour la petite histoire, on trouve dans Monsieur Verdoux, un regard caméra six avant celui d’Un Été avec Monika (1953) d'Ingmar Bergman.
The Thing (1982) de John Carpenter. Tests sanguins, peur de l’autre, isolement. Nous y sommes. Carpenter est grand !
The Canyons (2013) de Paul Schrader : Pour son ouverture - l’une des plus belles et tristes de l’Histoire du cinéma -, avec ses salles de cinéma abandonnées, dévastées, éventrées.
Massacre à la Tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper : La folie capturée sur pellicule à gros grain. Un film sauvage, brutal, terrifiant, mais qui s’avère tout aussi drôle au fur et à mesure qu’on le redécouvre. Une relecture en mode barge de Bip-Bip et le Coyotte. Et un grand film sur l’Amérique des seventies, qui s’embourbe au Vietnam. Indépassable !
La Valse des Pantins (1983) de Martin Scorsese : Pas le plus connu, le plus aimé, ni le plus célébré des Scorsese. Pourtant, c’est l’un de ses meilleurs. De plus, Jerry Lewis et Bob de Niro y sont totalement géniaux.
Le Professeur (1972) de Valerio Zurlini : Parce que Delon y est gigantesque. Comme souvent, mais peut-être davantage. Le Professeur, tout autant mélodrame que film politique, est une bonne "porte" pour découvrir le cinéma de Zurlini.
Tabou (1999) de Nagisa Ôshima. Grand film de samouraïs, sur l’ambiguïté sexuelle, le désir. et les questions de genre. Porté par une musique majeure de Ryūichi Sakamoto.
Le Salon de Musique (1958) de Satayajit Ray : le meilleur film jamais réalisé sur la danse et la musique.
Pickpocket (1959) de Robert Bresson : Parce que Bresson nous prouve que l’amour nous sauve de tout.
Mister Arkadin (1955) d’Orson Welles : Totalement baroque ! Totalement mégalo ! Totalement Welles ! Totale fascination !
Requiem pour un Massacre (1985) d'Elem Klimov : L’oeuvre la plus radicale, lucide et terrifiante jamais réalisée sur la guerre. Impossible de prononcer un seul mot après l’avoir regardée. Une expérience traumatisante mais nécessaire.
Gare Centrale (1958) de Youssef Chahine : Si je ne devais garder qu'un film de ce grand cinéaste, et vrai humaniste, ce serait celui-là. Kénaoui (incarné par le réalisateur), pauvre vendeur de journaux à la Gare Centrale du Caire, me tire les larmes à chaque fois.
Le Voyage de la Peur (1953) d'Ida Lupino : Premier film noir réalisé par une femme. Un modèle du genre, qui flirte avec l’épouvante, pas assez cité. A redécouvrir toutes affaires cessantes.
La Peau Douce (1964) de François Truffaut : Mon Truffaut préféré. J’aime Jean Desailly dans le film, qu’on a pourtant beaucoup critiqué (à tort !) pour son interprétation. Françoise Dorléac n’a jamais été aussi belle et bouleversante. Diamant noir !
L’Etroit Mousquetaire (1922) de Max Linder : Une pierre angulaire du cinéma comique. Redécouvrons Max Linder ! Sans lui, Chaplin (qui était son plus grand fan) ne serait pas Chaplin !
Wanda (1970) de Barbara Loden : L’un des plus beaux portraits de femme qu’il m’ait été donné de voir. Seul long-métrage réalisé par son interprète principale. Un film = un chef-d’oeuvre ! Tout aussi important que La Nuit du Chasseur de Charles Laughton, dans un tout autre genre.
Evidemment, vous devez mettre en place un jury via Zoom. A quelles personnalités faites-vous appel ?
Je fais un choix impossible à réaliser. Président du Jury : Fritz Lang. Membres du Jury : le peintre Alexandre-Gabriel Decamps, le compositeur Erik Satie, l’écrivain Jim Thompson, la danseuse Loïe Fuller, l’écrivaine Shirley Jackson, la sculptrice Louise Bourgeois, le cinéaste Melvin Van Peebles, l’actrice Louise Brooks.
A quels collègues faites-vous appel pour regarder les films en même temps que vous et pour en débattre ensuite via Zoom ou Instagram Live ?
Toute l’équipe de Revus & Corrigés, la revue consacrée au cinéma de patrimoine. Et j’ajoute les excellents Jean-Philippe Guerand et Jean-Pierre Lavoignat : deux vrais amoureux du cinéma.
Maintenez-vous la redoutable séance de 8h30 du matin ?
Evidemment. Il faut que les critiques et journalistes puissent voir les films à temps pour en parler. Et pour bien en parler !
Pour la projection officielle du soir dans votre salon, respectez-vous la tradition et enfilez-vous un smoking ?
Ce sera plutôt tee-shirt, jean et Dr. Martens. Désolé : ce n’est pas très protocolaire.
Avez-vous à votre disposition un escalier pour effectuer la montée des marches ?
Celui de mon immeuble.
Qu’est-ce qui se rapproche le plus du tapis rouge chez vous ?
Un paillasson ! Pas très glamour, j’en conviens !
Votre Croisette à vous, elle ressemble à quoi ?
A un petit parc bordé d’arbres fleuris, où il est interdit d’aller actuellement car je vis en zone rouge.
Quel film de votre propre sélection vous autorisez-vous à huer (oui, c’est un peu masochiste) ? Aucun. Huer un film (à Cannes ou ou ailleurs) est un truc de petit bourgeois. Si on n’aime pas un film, on peut toujours s’en aller.
Quel film vous fera certainement dormir ?
C’est une impossibilité dans la réalité !
Et quel est celui que vous avez hâte de revoir ?
Monsieur Verdoux ! C’est celui que je revois le plus régulièrement. Avec La Valse des Pantins, toutefois.
Vous sentez-vous capable de préparer un aïoli ?
Je m’en sens capable, mais c’est à vos risques et périls.
Pour vos fêtes cannoises sur Whatsapp ou sur votre balcon, quelle sera votre playlist ?
De la musique noire : jazz, funk, … Prince, Prince, Prince, Michael Jackson à égalité, un peu de Rick James. Du rock (The Who), Steven Wilson et son ex-groupe Porcupine Tree, Archive, Izïa, et quelques titres bien electro de Jean-Michel Jarre, que je redécouvre avec passion depuis quelques années.
Pour quel(le) artiste seriez-vous prêt(e) à sortir de votre confinement si vous l’aperceviez par la fenêtre ?
Nous ne sommes plus en confinement. Mais si cela devait se reproduire (ce que je ne souhaite pour rien au monde), ce serait sans doute Robert Wise ou Richard Fleischer. Mais c’est trop tard.
Quelle sera votre palme d’or parmi vos films en sélection ?
Pickpocket ! La perfection n’existe pas (et heureusement), mais quand on voit ce Bresson, on a quand même tendance à y croire. Une très grande leçon de mise en scène !
Grégory Marouzé est rédacteur et critique de cinéma pour Revus & Corrigés, Lille La Nuit, LM Let’s Motiv, réalise des sujets pour Ci Né Ma, émission diffusée sur le réseau des chaînes régionales de la TNT. Il collabore également avec le Arras Film Festival et le Poitiers Film Festival. Il est membre du Syndicat français de la Critique de Cinéma. A la rentrée, il reprendra l'animation de Ciné-Clubs (Mes Films de Chevet à Lille, Class’ Ciné à Arras). Il a actuellement des projets de documentaires et de livres autour du cinéma.
Sur Twitter, suivez @GregoryMarouze
Anderton
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