mardi 2 novembre 2021

Albatros, un bouleversant concentré d'humanité

Albatros Xavier Beauvois CINEBLOGYWOOD


En salles : Il arrive qu'une vie bascule et, comme la falaise attaquée par la vague, elle peut alors soit s'effondrer, soit tenir bon. C'est ce que nous raconte Xavier Beauvois dans le bouleversant Albatros, avec Jérémie Rénier et Marie-Julie Maille. 


Laurent est commandant de gendarmerie à Etretat. Derrière l'apparente tranquillité d'un site de carte postale, il doit faire face avec sa brigade à ce que la presse appelle des faits-divers. L'engagement de Laurent est sans faille. Il peut compter sur une équipe toute aussi motivée que lui et sur sa famille, Marie et leur fille, "Poulette". Mais un soir, chez un agriculteur qui menace de se suicider, une intervention dégénère.

Xavier Beauvois signe un film bouleversant de sincérité. On découvre une chronique de la (sur)vie dans la France périphérique. Les petits drames du quotidien révèlent la misère sociale d'un pays fracturé. En première ligne, les gendarmes interviennent surtout pour apaiser les conflits, empêcher l'escalade mais aussi parfois, pour enquêter sur des actes sordides. Avec une approche très naturaliste, sans jamais chercher l'emphase, le cinéaste met en avant le dévouement et finalement, l'héroïsme de ceux qui parviennent avec peu de moyens à maintenir la paix civile alors que la colère gronde et que la souffrance est omniprésente. En parallèle, Beauvois nous fait partager l'intimité d'une famille, celle de Laurent. Soirée télé-canap', repas, puzzle, fête de l'école... là encore, le cinéaste s'abstient de toute grandiloquence, s'attachant à mettre en avant des joies simples qui en disent long sur l'amour et la complicité qui unissent le trio. 

Nous sommes touchés par la manière dont Laurent parvient à s'investir dans ces deux univers radicalement différents. Jusqu'à cette nuit d'intervention qui fait chavirer sa vie. On souffre avec lui de voir ses certitudes se lézarder et son incapacité à reprendre pied. C'est très émouvant de suivre Laurent et sa famille traverser la tempête - au sens propre comme au sens figuré.  

Un casting au diapason

La vérité qui se dégage d'Albatros tient aussi au casting, qui associe comédiens professionnels et amateurs. Jérémie Rénier est, une fois de plus, formidable. Il incarne Laurent avec beaucoup d'autorité, de droiture et d'humanité. Ce qui légitime complètement sa réaction dans la deuxième partie du film. Surtout, Rénier se met au diapason du bel ensemble réuni par Beauvois. On est content de voir Victor Belmondo prendre le relais de son regretté grand-père : au-delà de son visage et de son nom qui nous rappellent Bébel, il interprète avec naturel un jeune gendarme volontaire puis désemparé par le cours des événements. Même fraîcheur chez Iris Bry, découverte dans Les Gardiennes (2017), le précédent film de Beauvois, qui endosse ici l'uniforme de gendarme. 

A leurs côtés, des non professionnels complètement crédibles, tels Olivier Pequery, authentique gendarme, qui apporte bonhomie et empathie à son personnage... de gendarme, et Geoffrey Sery, agriculteur à l'écran comme à la ville (ou plutôt à la campagne), dont le charisme irradie les scènes dans lesquels il apparaît. 

Et puis, toute la famille Beauvois se retrouve au casting. Xavier fait une courte apparition dans le rôle d'un alcoolo. Marie-Julie Maille (la compagne du cinéaste, qui est également coscénariste et monteuse du film) joue la femme de Laurent. Après un premier rôle dans Les Gardiennes (2017), elle confirme son talent devant la caméra. Elle dégage une force tranquille, par son regard et ses silences. Enfin, Madeleine Beauvois nous charme tout au long du film. Elle nous fait monter les larmes quand elle vient consoler son papa. Il y a aussi un plan sur son regard où elle dit tout. C'est très émouvant de partager le regard tendre de Xavier Beauvois sur ses proches. Il me semble même que Gabin, l'âne de la famille, a participé au film via un braiement lors d'une séquence dans une ferme !

Beauté cauchoise

J'évoquais l'approche naturaliste de Beauvois. Pour autant, Albatros n'est pas un documentaire. Au fur et à mesure que le récit progresse, le cinéaste nous offre de splendides plans sur le pays de Caux et sa lumière qui jaillit sur la mer et découpe la silhouette des falaises de craie. Les séquences en mer sont magnifiques. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à celles mettant en scène Belmondo dans Itinéraire d'un enfant gâté (Claude Lelouch, 1988). Même émotion de voir un homme, seul face à lui-même, lutter contre les vagues et le vent. Et ce final, hautement cinématographique, bouleversant.

A une époque où nous sommes tous englués dans un contexte toxique et pesant, Albatros est un film lumineux qui donne des ailes.

Anderton


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