A lire : Xavier Beauvois n'aime pas les making of. Il ne veut pas qu'une autre caméra, ou même qu'un autre regard vienne perturber son plateau. On peut le comprendre tant il arrive à créer une atmosphère unique pour chacun de ses films. Pourtant, le cinéaste a fait une exception pour le tournage d'Albatros, en permettant au journaliste Dominique Thiéry et à l'illustratrice Catel Muller de partager l'aventure de son équipe en pays de Caux. Cela donne un ouvrage aussi original que passionnant : Un monde hors champ, publié aux éditions La Table Ronde.
Pour autant, Xavier Beauvois ne voulait pas d'un récit de tournage "classique". Le duo a ainsi alterné la description de quelques journées de tournage entre Etretat et Fécamp de septembre à décembre 2019, avec les portraits de plusieurs membres de l'équipe. Sont interviewés les acteurs professionnels - Jérémie Rénier, Victor Belmondo... -, les amateurs - Geoffroy Séry l'agriculteur, Olivier Péquery le gendarme... - mais aussi Julien Hirsch le chef opérateur, Jean-Pierre Duret l'ingénieur du son, Karen Hottois la directrice de casting, Sylvie Pialat la productrice ou encore Line Scheibling la stagiaire.
En adéquation avec la méthode Beauvois, Thiéry et Muller donnent la parole à celles et ceux qui ont fait ce film émouvant, sans s'arrêter aux responsabilités, à l'expérience ou à l'ancienneté. Chacun raconte son rôle sur le tournage, son entrée dans la grande famille du cinéma et au-delà, sa vie. On partage ainsi quelques moments intimes, parfois émouvants ; on accompagne les gendarmes, confrontés à la détresse et à la souffrance ; on appréhende la dureté du métier de paysan et de marin-pêcheur ; on découvre les métiers du cinéma.
A travers cette succession d'entretiens, la personnalité de Xavier Beauvois émerge. Sous des airs un peu bourrus, palpite une sensibilité à fleur de peau. Le cinéaste est convivial et blagueur mais son exigence est sans faille. S'il est toujours à l'écoute de ses collaborateurs, il sait exactement ce qu'il veut et comment l'obtenir. Il parvient à faire jaillir le meilleur de son équipe, y compris des amateurs qui n'ont jamais fait de cinéma. Mais si, comme l'un des figurants du cru, ils n'arrivent pas à jouer leur scène, il peut hausser le ton ou décider d'arrêter les frais. Beauvois se livre d'ailleurs avec humour et pudeur dans un long entretien où il évoque sa famille, la Normandie, ses rêves de cinéma, sa relation avec Jean Douchet.
Le tournage d'Albatros se raconte également à travers les aquarelles et dessins de Catel Muller. L'illustratrice, qui nous a régalés avec ses superbes romans graphiques en noir et blanc sur Goscinny, Joséphine Baker ou Olympe de Gouges, signe des portraits colorés qui reflètent toute la bienveillance qu'elle porte sur ses sujets. Et avec ses pinceaux, elle retranscrit l'atmosphère bon enfant du tournage. Son regard malicieux fait jaillir la poésie d'un rail de travelling ou d'une perche de micro. Comme Beauvois, elle sait également donner à voir la beauté des paysages normands. Elle recourt à toutes les nuances de gris, vert et bleu, avec quelques éclats d'ocre, pour saisir l'union des flots, des cieux et des falaises d'Etretat.
Avec Un monde hors champ, Dominique Thiéry et Catel Muller ont su rendre compte du travail d'équipe que représente la production d'un film, avec ses aléas, ses petites galères et ses grandes joies. L'ouvrage est une chronique de l'art qui se crée, en mettant en lumière les artistes et les artisans qui tentent de faire exister la vision d'un homme, le cinéaste. Le lecteur est touché par l'engagement de chacun et par la délicatesse, voire la fragilité d'une entreprise collective qui apparaît plus que jamais indispensable alors que les films peinent à exister en salle. Il faut aller voir Albatros et lire Un monde hors champ. L'un comme l'autre transmettent l'amour du cinéma et redonnent l'espoir dans la vie.
Anderton
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