Présenté à la Mostra de Venise 2024, où il a remporté le Grand prix du jury, Vermiglio ou La mariée des montagnes est sorti en vidéo cet été chez Blaq Out. Retour sur un film qui, sous sa délicatesse et sa grande beauté, raconte l'émancipation de ses personnages féminins.
C'est l'hiver dans le Trentin et, en cette année 1944, la deuxième guerre mondiale touche presque à sa fin. A Vermiglio, dans les hauteurs du Val di Sole, le conflit pourrait sembler lointain tant le village semble isolé de tout. On y vit chichement, au sein d'une communauté soudée, qui se retrouve dans l'unique café du coin ou à l'occasion de festivités et de travaux agricoles. Un enfant du pays revient du front, blessé et accompagné de Pietro, un camarade d'origine sicilienne. Des déserteurs. "L'étranger" s'intègre à la communauté, donnant le coup de main. Il apprend même à lire et à écrire sur les bancs de l'école, aux côtés d'autres adultes analphabètes. Peu disert, il captive Lucia, la fille aînée de l'instituteur. Bientôt, ils se marient. Au printemps, Pietro annonce qu'il doit partir en Sicile pour annoncer à sa mère qu'il est toujours vivant. Lucia est enceinte.
Dès les premiers plans, la cinéaste Maura Delpero donne le ton. Des plans fixes, magnifiés par la photo de Mikhaïl Kritchman, capturent la douce et fragile lumière qui perce à travers la brume glacée. La couleur semble limitée au rouge des joues et des mains. Dans l'immensité du massif alpin, l'humanité paraît minuscule et si fragile. La vie, simple, est rythmée par le travail. Chacun est assigné à des tâches quotidiennes mais aussi à un rôle. Cesare Graziadei, l'instituteur, le notable, règne avec autorité sur ses élèves et sa maisonnée. Sa femme enchaîne les grossesses. Trois filles, quatre frères qui se partagent les lits. Le destin des trois soeurs est décidé par le patriarche. Elles ne pourront pas toutes faire des études supérieures.
Vermiglio associe des comédiens, comme l'excellent Tommaso Ragno (vu au cinéma dans Nostalgia et Tre Piani, ainsi que dans les séries TV 1992 et Il Miracolo) dans le rôle de l'instituteur, et des non professionnels qui font leurs premiers pas devant la caméra. De même qu'elle tourne ses documentaires comme des fictions, Maura Delpero aborde ce film comme un quasi-documentaire (elle s'en explique dans un entretien bonus édifiant). On a parfois l'impression d'assister à un reportage ethnographique capturant des instantanés de vie dans un monde révolu, où la langue, les traditions, la vie même interpellent. La frontière entre le réel et l'imaginaire s'atténue, comme la brume qui dissimule le paysage avant de s'évaporer pour en révéler toute la majesté.
Avec délicatesse, la cinéaste révèle peu à peu la personnalité de chacun des protagonistes, notamment des femmes - mère et soeurs -, dont les sentiments percent la chape d'autorité (paternelle, sociale, religieuse) qui s'impose à elles. Elles parviennent à la contourner et parfois même à s'y opposer. Elles s'affranchissent du poids des conventions et des obligations. Sans cri mais avec une détermination sans faille. Inspirée par l'existence de sa propre grand-mère, Maura Delpero signe l'histoire touchante d'une émancipation obtenue dans la douleur. Vermiglio s'achève dans une tragédie qui s'avère pourtant porteuse d'espoir.
Anderton

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