mardi 3 octobre 2017

Le Sens de la fête : le cinéma à la fête !

En salles (le 4 octobre) : Après Samba, semi-déception esthétique et commerciale, Eric Toledano et Olivier Nakache sont attendus au tournant. Autant le dire d’emblée, avec cette comédie chorale pétillante et poétique, au centre de laquelle trône un Jean-Pierre Bacri impérial, ils devraient faire un nouveau carton. Pitch imparable, sens du timing, précision des dialogues, casting aux petits oignons, sans oublier ce qui manque cruellement à la comédie française, sauf exceptions : un sens de la mise en scène, une attention portée à la lumière et au design. Le cinéma est à la fête !


Pitch imparable

Des films sur des mariages made in France, on en déjà beaucoup – trop ? – vus : Mariages, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu, Plan de table, ou plus récemment, Jour J. C’est vrai. Mais là, nouveauté : tout est vu du point de vue non des mariés ou des membres de leurs familles, mais des organisateurs, des wedding planners, donc des coulisses. Des petits aménagements au contrat initial aux répétitions de l’orchestre, en passant par l’installation au château, les relations entre les brigades... tout, vous saurez tout sur les coulisses d’un mariage à la française. Par son sujet, son traitement, son aspect choral et sarcastique, impossible de ne pas penser au chef-d’œuvre de Robert Altman, Un mariage, l’un des nombreuses sources d’inspiration évidentes du duo Toledano-Nakache.
 


La comédie italienne revisitée

On le sait, l’un des principaux ressorts du comique, c’est comment éviter qu’une situation programmée de A à Z ne tourne à la catastrophe. Et dans Le Sens de la fête, effectivement, rien ne se passera comme prévu : le photographe est plus intéressé par le buffet et Tinder que par ses séances de shooting et son jeune stagiaire ; le DJ se prend pour un crooner italien ; la mère du marié disparaît subitement ; le menu doit être reconfiguré à la dernière minute ; un mystérieux témoin s’incruste à la fête... Jusqu’à un acmé - comme toujours, chez les Toledano-Nakache, d’ordre musical - et qui permet à chacun de retrouver les esprits. Et de se retrouver. Car c’est là la force de leur cinéma : à l’instar d’un Klapisch, ils n’ont de cesse de célébrer les vertus du collectif sur l’individuel, des bienfaits du vivre ensemble pour mieux vivre en tant qu’individus. Comme les grandes comédies italiennes des années 70, Le Sens de la fête, derrière ses atours de comédie populaire, pointe les travers de notre époque – racisme, individualisme, règne de l’argent et du paraître, communication faussée – pour mieux s’en moquer et porter un discours politique sur le bien vivre ensemble.



La grande famille

Qui dit film choral dit troupe d’acteurs. Et Le Sens de la fête s’appuie sur différentes familles du cinéma français : les anciens et les nouveaux, des nouveaux visages, qui revigorent les anciens. La preuve ? Vous y croiserez des acteurs venus du théâtre national ou du Français (Hélène Vincent, Judith Chemla, Benjamin Lavernhe, odieux à souhait) ;  de la comédie populaire, comme Jean-Paul Rouve, un fidèle du duo, ou Gilles Lellouche – on ne dira jamais assez combien, lorsqu’il est dirigé, par un Rappeneau, Miller ou ici par le duo Toledano-Nakache, il peut être irrésistible ; des visages issus d’un cinéma plus arty, comme Vincent Macaigne ou Antoine Chappey ; ou des nouveaux venus, comme Eye Haïdara, une véritable nature tourbillonnesque, ou Alban Ivanov, placide et gaffeur à la fois. Sans oublier la superbe Suzanne Clément, dont on peut juste regretter que le personnage ne soit pas davantage développé.

Jep Bacri, impérial
 
Et puis, bien sûr, au milieu de ce maelström, il y a Jean-Pierre Bacri. Comment dire... Pour sa deuxième apparition cette année après Grand Froid, comment ne pas affirmer qu’il est l’un des plus grands acteurs de sa génération ? On a beau dire qu’il sculpte le même type de personnage, atrabilaire, de mauvaise humeur, grognon, malheureux en amour, il n’empêche qu’il parvient à chaque fois à lui apporter une nouvelle touche. Là, dans le rôle de Max, avec la double casquette de chef d’entreprise et d’organisateur de mariages, il étonne par sa faculté d’entraînement et son bagout. Et on n’est pas près d’oublier ses quiproquos avec les SMS et les emojis. Et une certaine propension à la mélancolie et l’autodérision, qui le rapproche de Jep, le personnage incarné par Toni Servillo dans La Grande Bellezza, autre source d’inspiration du film, de son affiche jusqu’aux trouées poétiques qu’il contient. Enfin le César ?

Une ambition de cinéma
 
Enfin, ce qui rend cette fête encore plus festive pour le spectateur, c’est de voir le soin porté par les réalisateurs à la mise en scène, aux décors, à la lumière, souvent parents pauvres de la comédie made in France. Construit en respectant les unités de temps, de lieu et d’action, leur film fait preuve d’une ambition de cinéma qu’on ne voit que trop rarement dans la comédie : des dialogues qui font mouche ; un casting, comme on l’a vu, représentatif de l’ensemble du cinéma français ; un scénario qui ne ménage ni ses effets ni sa portée sociale ; des trouées de pure émotion et poésie ; et comme dans toute bonne fête, un sens du rythme et du tempo, soutenu par une réalisation qui alterne travellings caméra à l’épaule et plans fixes, quasi-lunaires. Le tout avec une portée comique, sociale et mélancolique qui rend bien dérisoires le tout venant de la comédie à la française contemporaine. Bref, le cinéma est à la fête – rejoignez cette fiesta fissa !
 
Travis Bickle

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