mercredi 18 août 2021

Bac Nord : action intense et polémiques amères

Bac Nord CINEBLOGYWOOD


En salles : Après l'excellent polar La French, Cédric Jimenez est revenu chez lui, à Marseille, pour y tourner un thriller qui prend aux tripes et au coeur : Bac Nord. Du cinéma d'action détonnant, porté par un casting impérial : Gilles Lellouche, François Civil, Karim Leklou et Adèle Exarchopoulos. Un film qui mérite mieux que les polémiques qu'il a suscitées.


Le titre annonce la couleur. On découvre le quotidien de flics de la Bac qui opèrent dans les quartiers Nord de Marseille. Grâce à une indic, Greg, Antoine et Yass ont la possibilité de démanteler un important réseau de trafiquants qui a fait d'une cité une zone de non-droit. Pour cela, il va falloir bosser hors légalité. La hiérarchie donne son feu vert...

Disons-le tout net, lorsque j'ai vu Bac Nord en projection presse (en juillet dernier), je n'avais aucune idée que le film était basé sur une histoire vraie. Et ce que j'ai vu m'a bluffé. Cédric Jimenez est un cinéaste doué qui, dans le sillage de Fred Cavayé, prouve que les Frenchies savent faire des thrillers qui n'ont rien à envier aux Ricains. La mise en scène de Jimenez associe élan, nervosité, tension et nous tient en haleine tout au long du film, jusqu'au climax : l'intervention au coeur de la cité, une incroyable séquence d'action pure. Sur le quotidien des flics, marqué par la violence et les frustrations, et l'amitié virile qui les unit, le cinéaste parvient à déjouer l'attendu en signant là-encore des scènes étonnantes, comme celle de l'arrestation d'un jeune délinquant dont la fureur et les insultes ne seront arrêtées que par un morceau de rap trouvé sur l'autoradio des condés et qui suscitera une grisante communion entre le gamin et les trois flics. Tout comme Pierre Lescure, cette scène m'a bluffé, je n'avais jamais rien vu de tel au cinéma.

Si Adèle Exarchopoulos fait de son mieux avec un rôle en retrait, Gilles Lellouche, François Civil et Karim Leklou forment un trio bluffant. Chacun à sa manière, ils traduisent la complexité des sentiments qui animent ces flics de terrain : le goût de l'action et de la bagarre, la volonté de lutter contre le crime, le désarroi face au manque de considération (de la part de la population comme de leur hiérarchie)... On a affaire à des types prêts à en découdre et un peu paumés. Yass (Karim Leklou), père de famille, est le plus stable, le plus posé. Greg (Gilles Lellouche) et Antoine (François Civil) vivent en solitaire, comme en mission. La bac en première ligne contre le crime mais aussi face à la misère. Alcool et beuh aident à tenir. Jamais un bon ménage quand on porte une arme. Les trois comédiens parviennent à révéler toute l'humanité de ces têtes brûlées. Kenza Fortas est touchante dans le rôle de l'indic, Cyril Lecomte parfait en chef à la fois prévenant et finalement peu courageux et on est content de revoir Jean-Yves Berteloot en "boeuf-carottes" retors.

L'autre personnage du film, c'est évidemment Marseille. Jimenez montre sa ville sans fard, posant sa caméra dans les quartiers Nord (notamment dans le quartier des puces actuellement en pleine rénovation), des quartiers parmi les plus pauvres et les plus dangereux d'Europe. Il filme la misère, la chaleur écrasante, la Méditerranée à la fois si proche et inaccessible mais aussi l'incroyable dynamisme de cette cité solaire.

Polémiques amères

Le film n'a pas manqué de suscité de nombreuses polémiques et critiques. Il est reproché à Bac Nord d'être un film de mecs et c'est vrai, qu'Adèle Exarchopoulos aurait mérité un rôle plus étoffé. Je n'ai pas de stats sur les effectifs de la bac mais j'imagine sans mal (et pas sans mâle) qu'ils sont constitués en très grande majorité d'hommes. Et ces hommes sont toujours prêts à aller dans des zones où les lois de la République n'ont plus cours. Quitte parfois à chercher la merde et à prendre leurs aises avec les lois qu'ils sont censés défendre. Le film l'illustre parfaitement. Reprocher aux acteurs de rendre leurs personnages attachants, en tout cas humains est en revanche ridicule. J'invite ceux qui émettent ces critiques à revoir French Connection (1971, William Friedkin) : ils verront si Popeye Doyle (Gene Hackman) est un flic sympathique. 

Autre reproche : ne pas donner la parole aux habitants des quartiers et représenter les jeunes qui y habitent comme des délinquants brutaux. Lors du Festival de Cannes 2021, un journaliste irlandais a même demandé à l'équipe si elle avait conscience que le film allait donner des voix à l'extrême-droite, à quelques mois de la présidentielle. Bon, je suis toujours gêné par ce genre de rapprochement, comparable à celui qui rend les jeux vidéos responsables de tous les comportements déviants. J'adore Le Parrain et Les Affranchis et pourtant, je n'ai jamais eu envie de devenir mafieux. J'ai beaucoup aimé Bac Nord et, pas plus aujourd'hui qu'hier ou demain, j'ai envie de devenir raciste ou de voter pour des candidats qui le sont. Jimenez a choisi de se focaliser sur le point de vue des policiers : un point de vue biaisé et le spectateur a le droit d'être suffisamment intelligent pour faire la part des choses.

La seule critique que je peux entendre, c'est celle concernant l'histoire vraie derrière le film. Je pense que Jimenez aurait dû en rester à de la pure fiction. Il se serait ainsi affranchi de toute critique sur un éventuel soutien à des policiers jugés et condamnés. D'ailleurs, la dernière partie du film, dans laquelle le trio doit rendre des comptes, perd en intensité. On y voit des hommes broyés par le système mais aussi par leurs propres comportements. Flics ou voyous ? Pour le coup, Jimenez nous incite à nous poser des questions sur un métier mal considéré et c'est un euphémisme. Mais cette baisse d'intensité tient aussi au fait que la séquence de l'intervention dans la cité est un grand moment d'action.

A chacun de se faire son opinion. Pour ma part, je considère que Bac Nord est une réussite comme le cinéma français sait parfois en produire. Le talent de Jimenez et de ses acteurs éclate à l'écran et on ressort de la salle avec des images fortes qui resteront gravées pour longtemps dans nos mémoires.

Anderton 

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