Pour mettre en valeur La Strada (1954) de Federico Fellini, Rimini Editions sort un coffret collector qui fait date : deux blu-rays associés à deux livrets, deux films, une pelletée de bonus... On en attendait pas moins d'un éditeur dont la dénomination est associée à la ville de naissance du Maestro.
Je n'avais pas revu le film depuis longtemps, très longtemps. J'en avais gardé un souvenir ému, très ému. Il faut dire que l'histoire est poignante : au bord de la mer, sur une plage qui évoque plus l'abandon que le farniente, survit une famille. Le rayon de soleil qui perce les ténèbres de la misère, c'est Gelsomina. Une jeune femme au grand sourire. Une innocente, une simple d'esprit. Sa mère la vend à Zampano, un forain ambulant auquel elle avait déjà livré sa fille aînée. Mais comme cette dernière est morte, le bateleur vient à nouveau s'approvisionner. Gelsomina monte dans la roulotte, le coeur déchiré mais bientôt émerveillée par le monde qu'elle découvre sur la route.
Zampano est un homme frustre et violent. Il la (prend de) force, la forme à des numéros que le duo livre de village en village, devant des attroupements de curieux. Contre toute attente, Gelsomina prend plaisir à faire l'artiste, elle tombe même amoureuse de son patron. Mais celui-ci ne lui montre aucun égard. Il couche avec la première venue, aboie sur sa partenaire, quand il ne la frappe pas. Gelsomina devient inconsolable.
L'émotion est toujours au rendez-vous. On rit avec Gelsomina, on pleure avec elle. Immense, Giulietta Masina, dont le visage s'illumine et s'assombrit en quelques secondes. Ce petit bout de comédienne interprète un petit bout de femme auquel on s'attache immédiatement et qui s'installe durablement dans notre mémoire... et notre coeur. Face à ce lutin qui s'émerveille en toute occasion, un monstre, dénué de tout sentiment et mû par l'appât du gain. Cette brute égoïste, Anthony Quinn l'incarne avec toute la dureté qu'il sait faire passer dans ses rôles. Et pourtant, sans chercher à atténuer son comportement, l'acteur parvient à faire passer des soupçons d'humanité, en un regard perdu, en une hésitation fugace. Du très grand art.
Pour son quatrième long-métrage (ou son troisième et demi), le cinéaste nous emporte dans une odyssée à travers une péninsule italienne qui se remet péniblement de la guerre. Sans jamais tomber dans le mélo, il nous fait passer du rire aux larmes (et inversement), avec la même délicatesse qu'il passe du néo-réalisme au conte qui frôle le fantastique. Numéro d'équilibriste, comme celui du "Fou" (Richard Basehart), acrobate qui croise le chemin de Gelsomina et Zampano. Le cinéaste s'affranchit de Roberto Rossellini (avec lequel il a cosigné le scénario de Rome Ville ouverte) pour tracer sa propre route, sa strada.
Un passionnant dialogue entre les critiques Frédéric Mercier (Positif) et Marcos Uzal (Les Cahiers du cinéma) et une interview (audio) en français de la Masina complètent le premier blu-ray. Le second contient un documentaire, Fellini, je suis un grand menteur (2002) de Damian Pettigrew. Lors d'un de ses derniers entretiens, filmé en 1992, Il Maestro se raconte dans de longues phrases ciselées qu'il déroule de sa douce voix envoûtante. Le spectateur se laisse bercer, s'y perd parfois. La profondeur côtoie l'ironie. D'autres intervenants sont plus directs : Terence Stamp, Donald Sutherland, Daniel Toscan du Plantier, Roberto Benigni, Dante Ferretti, Italo Calvino... Ils rendent hommage au cinéaste, évoquent sa méthode de travail si particulière, où la manipulation et une forme de brutalité ne sont pas absentes. L'envers du génie. Des extraits de ses films illustrent les propos, parfois ce sont les paysages felliniens que Pettigrew fait défiler devant nos yeux. Parmi les bonus, "huit entretiens et demi" - formidables anecdotes de Roland Topor et Jean Giraud... - ainsi qu'un périple sur les lieux arpentés par le cinéaste. Je ne suis pas loin de qualifier cette édition vidéo de définitive.
Anderton
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