Coppola parano : Conversation secrète et Dementia 13

Après leur ressortie en salles, six films restaurés de Francis Ford Coppola sont disponibles en vidéo dans des éditions magnifiques et complètes signées Pathé Films. Focus sur Conversation secrète et Dementia 13, deux films qui nous plongent dans la paranoïa de personnages manipulés, dépassés.

Un après-midi à Union Square, au coeur de San Francisco. Un couple déambule parmi les badauds et artistes de rue. Bribes d'une discussion banale d'où émergent soudain quelques paroles inquiètes. Sans le savoir, l'homme et la femme sont sur écoute. L'équipe de surveillance est dirigée par Harry Caul, un expert aussi réputé que taiseux et taciturne. Les enregistrements de cette filature l'obsèdent de plus en plus. Et s'il faisait courir un danger à ce couple ? Son client semble dangereux. 

Je n'avais pas revu Conversation secrète depuis une éternité. Ne m'en restait en mémoire que la scène finale, d'une grande force. Quel plaisir de le redécouvrir avec une telle qualité d'image ! Complètement ancré dans son époque, le Nouvel Hollywood du début des années 1970, le film, Palme d'or au Festival de Cannes 1974, s'avère d'une grande modernité, en résonance avec notre 21e siècle ultra-digitalisé. Francis Ford Coppola porte un regard clinique sur l'émergence d'un Big Brother qui oeuvre pour des organisations mystérieuses et omnipotentes. Le progrès technologique est détourné pour violer l'intimité et mettre en péril les libertés individuelles. Impossible de regarder Harry Caul tenter de déchiffrer les paroles du couple en avançant et rembobinant les bandes sonores sans penser à Blow Out (1981) de Brian De Palma.

Le cinéaste ne s'en tient pas à un message politique, aussi juste soit-il : il nous entraîne dans un thriller qui bouleversera nos certitudes tout en brossant le portrait d'un homme froid, étranger au monde qui l'entoure. Jusqu'à ce qu'un questionnement intérieur fasse jaillir une émotion, détraque "la machine" et l'entraîne sur un chemin dangereux. Formidable interprétation de Gene Hackman. Belle galerie de seconds rôles interprétés par des comédiens ayant déjà tourné sous la direction de Coppola, ou qui le referont : John Cazale, Frederic Forrest, Robert Duvall, Harrison Ford, Teri Garr. 

Autant Conversation secrète dégage une grande maîtrise, autant Dementia 13 (1963) présente toutes les qualités et les défauts d'un premier long métrage. Cette production Corman, tournée en noir et blanc au Royaume-Uni, est une série B sous l'influence de La Quatrième dimension et du Psychose d'Hitchcock. Avec en prime, quelques plans pas franchement utiles d'une jeune femme en sous-vêtement. La mise en scène allie maladresse et inventivité. Certains plans sont de toute beauté, le scénario s'avère bancal et les acteurs en font souvent trop. Les fans de Coppola y trouveront leur compte : on devine un cinéaste avide de s'approprier un art plein de possibilités. Une séquence de mariage ne manque pas de nous transporter au début du Parrain. Il est déjà question d'une famille dysfonctionnelle.

Editions soignées

Pathé nous gâte. Chaque film est proposé dans une version restaurée et introduit par Francis Ford Coppola. Dementia 13 bénéficie d'un nouveau montage qui correspond davantage à la vision du cinéaste tandis que Conversation secrète est accompagné d'une pléthore de bonus, dont une intervention passionnante du maestro devant des étudiants Frenchies. Et puis, ces jaquettes illustrées par Laurent Durieux...

Anderton