samedi 13 février 2021

Cadors de la comédie (2/4) : Patrice Leconte, du rire au drame

Patrice Leconte Juste une mise au point CINEBLOGYWOOD

Artistes : OCS Géants diffuse ce soir à 22h25 le deuxième épisode de Juste une mise au point, une série documentaire produite par Sébastien Labadie et consacrée aux maîtres de la comédie française. Après Francis Veber, place à Patrice Leconte.


Comme son compère réalisateur des Compères, Leconte passe en revue sa carrière face à des écrans qui présentent des scènes de certains de ses films mais aussi des images d'archives inédites ou oubliées, souvent issues de reportages TV. Avec le réalisateur du Mari de la coiffeuse, ce sont plus de 40 ans de cinéma français que l’on parcourt, à travers 10 films emblématiques, représentatifs de sa filmographie. Et pour chacun d’entre eux, Leconte y apprend un « truc », comme il le dit. Peut-être là la recette de sa longévité ?

Patrice Leconte Juste une mise au point CINEBLOGYWOOD
Patrice Leconte en 1976 : une certaine idée de la frange

Les Vécés étaient fermés de l’intérieur (1976)

Son premier long-métrage aurait pu aussi être son dernier. Tout d’abord confronté à un extrait du film, au cours duquel Coluche et Jean Rochefort interrogent sur le pas de sa porte une jeune femme en petite culotte, Leconte assume ! Devenu culte avec le temps, ce film subit un échec cinglant côté critique et public. Malgré Gotlib au scénario, rencontré au sein de la rédaction de Pilote ("Mâtin quel journal !") . Malgré Coluche, dont Leconte salue la loyauté et le soutien, alors que le comique était sollicité par des projets plus ambitieux commercialement. Et malgré Jean Rochefort, qui après une semaine de tournage déclare au cinéaste : "Patrice, ne me parle plus, je suis anéanti d’avoir signé ce film" et qui débarque Leconte du tournage avec l’appui de la Gaumont, le temps d’une journée… Grâce à Luc Béraud et Bruno Nuytten, Leconte reprend les rênes du tournage. "Je n’ai monté aucun des plans qu’il avait tournés". Une cicatrice qui ne s’est jamais refermée et qui lui provoque encore des douleurs rien qu'à évoquer ce souvenir, même s’il sera heureux de tourner avec lui par la suite à 5 reprises.

Les Bronzés (1978) et Les Bronzés font du ski (1979)

Bien sûr, impossible de ne pas évoquer Les Bronzés et sa suite, Les Bronzés font du ski. A la suite de l’échec de son premier film, Leconte se met la pression pour son portrait de Français au Club Med en Côte d’Ivoire, d’abord proposé à Edouard Molinaro ou Claude Zidi : "C’est la chance de ma vie, je ne peux pas me gourer deux fois". Fréquentant assidûment le Café de la Gare, Patrice Leconte est donc adoubé par la troupe du Splendid, qui avait apprécié Les Vécés et avec laquelle les deux tournages se passent idylliquement. Même s’il reconnaît avoir occulté à l’équipe le fait de n’avoir jamais fréquenté le Club Med, de peur d’être viré  ! Superbes archives : pour Les Bronzés, une sorte de bande-annonce où chacun des acteurs présente le film en prétextant avoir le rôle principal ! Connivence et blagounettes au programme – du bonheur. Quant aux Bronzés font du ski, revoir la critique de cinéma de France 2 France Roche présenter le film comme "un film comique qui n’est pas déshonorant" est un moment quelque peu... déshonorant pour la critique ! Leconte en profite d'ailleurs pour régler ses comptes avec les journalistes : un critique, qu’il ne nomme pas, lui déclare se donner 10 ans avant de se prononcer sur un film comique ! Même s’il a préféré tourner sous le soleil de la Côte d’Ivoire plutôt que sur les pistes des Alpes, Leconte avoue une certaine tendresse pour le numéro 2, qu’il a revu plusieurs fois en se gondolant à chaque reprise.

Viens chez moi, j’habite chez une copine (1981) et Ma femme s’appelle reviens (1982)

C’est sous l’influence de Michel Blanc qu’il écrit cette comédie sociale à la française, avec Christian Fechner à la production. Leçon de Leconte ? "Quand le dialogue ne vient pas, c’est que la scène est mal écrite". Souvent présenté comme miroir de la France des années 80 du chômage, Leconte dit que ce n’était pas délibéré. "Je n’aime pas dater les films, j’aime les films plus intemporels..

Les Spécialistes (1985)

Christian Fechner lui passe une commande : Gérard Lanvin, Bernard Giraudeau, le casse du siècle, la Côte d’Azur. Leconte accepte aussitôt, tout en se demandant s’il allait pouvoir le faire. "J’ai appris un truc : il est très motivant de faire un truc qu’on n’est pas censés pouvoir faire. (…) Un vrai tournant qui m’a donné le culot de la liberté." Suivi d’une belle leçon de mise en scène où Leconte explique pourquoi il a composé une séquence entière en rupture avec la grammaire cinématographique traditionnelle, privilégiant le regard caméra, au classique champ-contre champ, pour un duel de regards qui évoque les gros plans de Sergio Leone. Et de conclure : "Les Spécialistes ont été à Delon et Belmondo ce que le Splendid avait été à Oury".

Tandem (1987)

Première évolution : "Je me suis permis à cadrer grâce aux films publicitaires.  Et à partir de Tandem, j’ai toujours cadré mes films". Ce qui permet à Leconte d’entretenir des rapports d’intimité avec les acteurs. Deuxième évolution : les retrouvailles avec Jean Rochefort. Au début, il ne pensait pas à Jean Rochefort, mais à Roger Pierre. Et Leconte d’imiter vocalement l’acteur moustachu à qui il a finalement transmis le scénario : "Je t’interdis de faire ce film sans moi". Et le cinéaste de rappeler la formule que lui a lancée l’acteur sur le tournage : "Tu vois, Patrice, on a commencé par manger notre pain noir. Et maintenant, c’est notre pain blanc". Troisième évolution : les César ne l’ignorent plus. Flatté d’être nommé à 7 reprises à la cérémonie, Leconte concède avoir été déçu de n’empocher qu’une statuette : celle de la meilleure affiche, qu’il n’aime pas du tout !

Monsieur Hire (1989)

Nouvelle adaptation du roman de Georges Simenon, Monsieur Hire n’est écrit pour aucun comédien.  Mais "j’aurais adoré tourner avec Coluche pour le rôle", regrette-t-il, même s’il reconnaît que Michel Blanc a été "exemplaire"». La raison : "On avait la trouille, car on n’avait jamais fait ça tous les deux". Un modèle d’épure et de pudeur. En compétition officielle au Festival de Cannes 1989.

Les Grands Ducs (1996)

Avec Les Grands Ducs, Leconte ne cache pas son envie première : faire un film avec 3 acteurs qui n’avaient jamais fait de film ensemble. Certes, il y eut bien Que la fête commence, de Bertrand Tavernier, mais ils n’avaient aucune scène en commun à trois. Hénaurme pour les uns, vulgaire pour les autres, le tournage de cette friandise vaut à Leconte de recueillir ce douloureux aveu de la part de Philippe Noiret : "Marielle et Rochefort ont quelque chose que je n’aurai jamais : la folie". 

Ridicule (1996)

Premier film que Leconte réalise sur la base d’un scénario écrit par un autre, le Belge Rémi Watherhouse, qu’il juge brillantissime, intelligent et populaire. Sous la pression de son ami Jean Rochefort, Patrice Leconte coiffe au poteau Claude Chabrol et Jean-Jacques Annaud contactés initialement. Le mot de la fin ? Comme le définissait Rochefort, "Ridicule est un western dont les colts auraient été remplacées par des mots d’esprit".

Une chance sur deux (1998)

A partir de la même recette que Les Spécialistes, Christian Fechner propose à Patrice Leconte le défi suivant :  faire un film d’action avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Et Leconte d’y ajouter : "Il faudrait qu’il y ait Vanessa (Paradis)". C’est le seul moment où Patrice Leconte émet un regret : celui d’avoir "raté un coup. (…) On aurait dû faire un sondage en demandant aux jeunes s’ils avaient envie de voir un film avec Delon et Belmondo. Je crois hélas que la réponse a été : Non merci. C’est dommage".

La Fille sur le pont (1999)

Ecrit pour Jean-Pierre Marielle, celui-ci refuse in fine le rôle : "Je ne veux pas être un vieux de plus dans la carrière de Vanessa". Déconcerté, Leconte suit cependant le conseil de l’acteur - "Ne me remplacez pas par un autre vieux" - et choisit Daniel Auteuil. "Il avait raison", reconnaît le réalisateur.

Au final ? Un cinéaste heureux, apaisé, mesuré. Mais surtout, expérimental, en quête de défis renouvelés à chaque tournage. "Si je n’avais fait que des comédies toute ma vie, je ne serais pas là pour vous parler. Heureusement, j’ai bifurqué".. Heureusement pour lui, et pour nous, spectateurs. 

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