Il n'est pas toujours donné de pouvoir changer sa vision d'un artiste, de pouvoir réviser son jugement. C'est pourtant l'effet que provoque L'Enigme Velazquez, le film de Stéphane Sorlat qui sort ce mercredi sur nos écrans. Une passionnante plongée au plus près de l'oeuvre du peintre espagnol qui, à l'image de l'artiste même, n'a rien de classique.
J'ai découvert Velazquez au lycée, lors de mes cours d'espagnol. Mon professeur, castillan, avait décrypté l'un de ses tableaux les plus célèbres, Les Ménines, avec ses mises en abyme, ses jeux de miroir, le caractère révolutionnaire de sa composition, son impact sur Picasso qui l'a réinterprété à maintes reprises. Et j'en étais peu ou prou resté là, rangeant l'Andalou dans la catégorie des peintres classiques. Une vision réductrice.
Impressions d'un artiste
Pour le dernier chapitre de sa Trilogie du Prado (après Le Mystère Jérôme Bosch - pas vu - et L'Ombre de Goya, formidable), le producteur Stéphane Sorlat est passé derrière la caméra. Et il est bien décidé à nous surprendre, à nous amener à redécouvrir l'oeuvre exceptionnelle d'un artiste qui a fait entrer la peinture dans la modernité. Premier étonnement, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, le film ne s'ouvre ni sur un majestueux palais, ni sur une imposante salle de musée mais sur une rivière qui s'écoule paisiblement au coeur d'un écrin de verdure. Le spectateur, déconcerté, se demande s'il ne regarde pas un documentaire consacré à l'impressionnisme. D'autant que le réalisateur s'attarde à capturer le flot du cours d'eau puis le miroitement de l'onde, qui évoquent davantage les coups de pinceau de Monet. Et quand il nous fait visiter les splendeurs architecturales de Séville, ville de naissance de Velazquez, sa caméra en parcourt les corridors avec la même fluidité qu'une rivière. Dans un gracieux mouvement, elle plonge sur les pavés striés de vagues et se relève pour imprimer dans notre rétine de lumineuses embrasures. Elles évoquent autant celle qui figure dans Les Ménines que la succession des photogrammes d'un film.
Cette séquence donne le ton : l'incroyable précision des tableaux de Velazquez, leur raffinement, leur élégance, qui frappent de prime abord, ne sauraient occulter leur composition audacieuse et les mouvements vifs que l'artiste a appliqués par petites touches sur la toile pour en faire jaillir des éclats de lumière, des impressions, mais aussi des sensations. Les personnes qu'il a peintes nous transpercent de leur regard. Leurs visages disent leur caractère, dévoilent leur psychologie. Peintre de la cour, il n'hésite pas à reléguer les figures nobles à l'arrière-plan, ou à les associer à des roturiers. Il représente bouffons, mendiants, ivrognes, petit peuple dont il révèle l'émouvante humanité.
La vérité au bout du pinceau
De la peinture de Velazquez, se dégage une vérité alors inédite et que chercheront à retrouver Manet, Picasso, Dali, Bacon et bien d'autres. Au cours d'un beau voyage qui nous transporte de l'Andalousie à New York, en passant par la Suisse, Venise et, bien sûr, le Prado, Stéphane Sorlat est allé interviewer des spécialistes - critique d'art, conservateurs, restauratrice... - et des artistes, ou retrouver leurs témoignages au sein d'archives éclairantes. Tous disent leur admiration pour ce peintre d'une surprenante modernité et nous aident à mieux apprécier sa patte unique ainsi que la richesse de son oeuvre. A leurs voix, se mêle celle grave et profonde de Vincent Lindon, formidable narrateur du film.
Le réalisateur fait dialoguer les oeuvres du peintre avec celles de ses héritiers, y compris les plus inattendus. Elles se répondent, s'entrechoquent, s'éclairent mutuellement sous un nouveau jour. L'Enigme Velazquez une magnifique déclaration d'amour à Velazquez, à l'art, à l'Espagne.
Anderton
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