Artistes : Poursuivons notre passage en revue de la filmographie de Louis Malle, disparu il y a vingt ans.
Après avoir couvert sa première partie de carrière, du Monde du Silence à Histoires Extraordinaires, Cineblogywood revient sur la période américaine du cinéaste, ses films polémiques et sa consécration, avec Au Revoir les enfants. Vidéos à l'appui.
Le Souffle au coeur (1970)
Méconnu en raison de la réputation sulfureuse qui l'entoure, Le Souffle au coeur est la chronique d'une adolescence dans la France dijonnaise sous la IVe République. Premiers émois sexuels, premières surprises-parties, premiers affres de l'adolescence. Un très beau film, tendre et malin, centré sur la force et la tendresse d'une relation mère-fils, qui n'a rien d'incestueuse, contrairement à sa fausse réputation. Nouvelle polémique, nouveau malentendu, malgré sa présentation au Festival de Cannes. C’est surtout le retour du cinéaste à la fiction, après une longue parenthèse consacrée aux documentaires, et à l’Inde en particulier.
Lacombe Lucien (1974)
Nouvelle polémique... A partir d'un scénario écrit en collaboration avec l'écrivain Patrick Modiano, Louis Malle brosse le portrait d'un paysan figeacois devenu collabo par hasard. Contexte oblige – Le Chagrin et la pitié venait tout juste de sortir, Malle en avait lui-même assuré la distribution dans deux salles parisiennes – le film déclenche une polémique à la française, droite et gauche s'entre-déchirant l'héritage de la fiction d'une France résistante dès 1940. Or Lacombe Lucien ne s'y révèle qu'humain, tragiquement humain, contradictoirement humain. Un grand film sur les zones d'ombre de l'âme.
Black Moon (1975)
Alors à la mode, le fantastique attire des cinéastes qui n'y étaient pas destinés – Chabrol avec Alice ou la dernière fugue, Mocky avec Litan. Pour Louis Malle, c'est le moyen de mettre à nu son inconscient, dans un film ouvertement surréaliste, et qui emprunte aussi bien à l'univers de Lewis Carrol que celui de Bergman (cf le chef op qu’il engage, le complice du cinéaste suédois, Sven Nykvist). Résultat : passé les 20 premières minutes muettes et intrigantes, le cinéaste, faute d'enjeux narratifs, ne parvient pas à captiver l'attention, même si rétrospectivement, on peut y lire toutes les angoisses liées aux années 70. Même si raté, il demeure exemplaire de la démarche créative du cinéaste, qui allie ouverture, expérimentation et remise en cause. "Chaque fois que je fais un film, j’expérimente quelque chose."
La Petite (1978)
Présenté à Cannes en 1978, nouveau scandale pour Louis Malle, pour son premier film américain. Objet du délit ? Son sujet, l’histoire d’une enfant prostituée dans un bordel de la Nouvelle-Orléans, à la fin du XIXe siècle, sous le regard d’un photographe. Entièrement tourné en extérieurs, admirablement éclairé par Sven Nykvist, La Petite donne l’occasion à Louis Malle de dénoncer l’hypocrisie dont le sexe est entouré, et de brosser le portrait d’une enfant qui perd son innocence face aux adultes. Bref, un film très personnel !
Atlantic City (1980)
Lion d'Or à Venise en 1980 (ex-aequo avec Gloria, de John Cassavetes), Burt Lancaster et Susan Sarandon s'offrent une dernière/première chance dans une ville désincarnée et peuplée de fantômes. Une splendeur mélancolique, dans la lignée du Nouvel Hollywood. Scénario signé John Guare (Six degrés de séparation). Avec Alamo Bay, la plus grande réussite de Louis Malle aux Etats-Unis.
My Dinner with Andre (1982)
De l’aveu du cinéaste, le film le plus difficile qu’il ait eu à faire. Paradoxe, quand on sait qu’il s’agit d’une discussion entre deux amis le temps d’un dîner à New York ! Ecriture des dialogues à partir d’enregistrement des conversations entre les deux comédiens Wallace Shawn et André Greggory, choix du lieu – un vieil hôtel délabré – répétition, choix des angles de caméra, science du montage, le film se transforme en véritable duel oratoire, à mi-chemin entre Joe Mankiewicz et Woody Allen. Du grand art !
Un cauchemar Orwellien (My dinner with Andre - 1981) [VOSTFR] from Deep Green Resistance France on Vimeo.
Crackers (1983)
Remake du Pigeon, de Mario Monicelli, cette version US reste inédite en salles en France. Alors qu’il devait tourner avec John Belushi ce qui deviendra American Bluff en 2013, réalisé par David O. Russel, Louis Malle se voit proposer ce curieux projet. Peu impliqué, soucieux de faire partie de Hollywood, et donc, de répondre aux sirènes des studios, il exécute cette commande, sans passion, ni rejet. A noter : dans la distribution, Sean Penn y côtoie Donald Sutherland.
Alamo Bay (1985)
Le film qui le décide à rentrer en France, en raison de son échec commercial du film et des violences dont il est l’objet. En s’attaquant à la question de l’intégration des Vietnamiens auprès d’une communauté de pêcheurs au Texas, Louis Malle mixe avec éclat une double approche fictionnelle et documentaire. Tourné en extérieurs, notamment en mer, Alamo Bay rejoue en off les tensions qu’il décrit à l’écran. Des difficultés de tournage qui épuisent le cinéaste, satisfait du résultat final, notamment de la musique de Ry Cooder.
Au revoir, les enfants (1987)
Deuxième Lion d'Or en 1988, sept Césars, prix Louis Delluc. Son film le plus directement autobiographique, le plus touchant, le plus populaire, le plus accompli. Et le plus secret, aussi. On n'est pas près d'oublier le final. "Pendant longtemps, j'ai purement et simplement refusé de m'y attaquer, parce que cet événement m'avait traumatisé et qu'il a eu une énorme influence sur ma vie", dira-t-il. Désormais, un classique qui a longtemps erré comme un fantôme expiatoire dans l’inconscient de son réalisateur. Comment ne pas voir dans le personnage incarné par François Négret un avatar de Lacombe Lucien ? Un film presque autobiographique pour Gilles Jacob, également.
Milou en mai (1991)
Le film trouve son origine à la fois dans les notes que Malle avait prises en vue d’une possible adaptation de La Cerisaie, de Tchekov ; et les livres, écrits, documentaires commémorant le 20e anniversaire de mai 68. Travaillé avec Jean-Claude Carrière, le film devient une harmonieuse variation sur La Règle du jeu, de Renoir, parsemée ça et là, de touches surréalistes, qui baigne dans la lumière du Lot et du Gers, rythmée par le jazz de Stéphane Grappelli. Seule et unique incursion de Bruno Carette au cinéma.
Fatale (1992)
Version tragique et anglo-saxonne des Amants, que Louis Malle revisite à l’aune de cette adaptation d’un roman de Josephine Hart. Tournage lourd et difficile – Juliette Binoche et Jeremy Irons ne s’entendant pas du tout – compliqué par les problèmes de santé que subit Louis Malle. A quoi s’ajoutent une absurde polémique liées aux scènes de sexe, puis sa disqualification pour concourir aux Césars en raison de son usage de l’anglais. Ce qui achève de faire de Fatale un film un peu maudit dans son œuvre.
Vanya, 42e rue (1994)
Son ultime film, une déclaration d'amour aux acteurs, à Tchekov, à New York, dans la lignée de ce que fera peu après Al Pacino avec Richard III et son Looking for Richard. Le plus délicat de ses films. Le plus expérimental, aussi, car en filmant à la fois l’intrigue et les répétitions de la pièce par leurs acteurs, il procède à un subtil jeu de mise en abîme. Qui rend cet exercice aussi émouvant que jubilatoire. Celui qui révèle et impose Julianne Moore.
Pour rendre compte de la richesse de la carrière trop prématurément interrompue de Louis Malle, il faudrait également évoquer brosser ce qui relie tous ses films, derrière leur apparente disparité : ses troublantes peintures du désir féminin, qui créeront scandale du début à la fin de sa carrière, des Amants à Fatale ; son talent pour filmer les enfants, à l'instar d'un Truffaut, surtout les enfants tristes, comme il le dira lui-même ; son goût pour les individus en rupture de ban ; son attirance pour le surréalisme et l’absurde – qui le conduira à investir personnellement une partie de ses revenus pour que la pièce de Ionesco La Cantatrice chauve poursuive ses représentations au théâtre de La Huchette, avec le succès que l’on sait ; son œuvre documentaire, sur l’Inde, la crise agricole des années 80 aux Etats-Unis, le travail à la chaîne dans les usines Citroën, le Tour de France, les piétons de la Place de la République ou Dominique Sanda, auquel il consacra un bref portrait ; ses engagements en tant que citoyen du monde, notamment pendant la guerre d’Algérie ou auprès des manifestants de mai 68 (il sera très actif pour faire interrompre le Festival de Cannes, en compagnie de Lelouch ou Polanski). Bien sûr, il faudrait évoquer ses nombreux projets restés inaboutis – une adaptation d’Henry James, un biopic consacré à Marlene Dietrich, ses nombreux scénarios restés dans les tiroirs...
Enfin, il faut citer Joseph Conrad. L’écrivain anglais a toujours accompagné le réalisateur, grand lecteur, en tant que modèle artistique, et modèle tout court. Au point qu’il travailla à de nombreuses reprises à l’adaptation de Une Victoire, qui ne vit jamais le jour... Pour finir, redécouvrez cette interview que le cinéaste accorda au critique britannique Philip French, récemment décédé.
Travis Bickle
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