Artistes : Le Point de non-retour, Délivrance, Excalibur, La Forêt d’émeraude, Hope and Glory et plus récemment Queen and Country, c’est lui. Le Britannique John Boorman, 83 ans, d’une grande simplicité et d’une grande générosité a répondu à nos questions, avec beaucoup d’humilité. Le propre des seigneurs.
On aurait pu passer des heures avec cet artiste visionnaire, désormais vieux gentleman, l’œil malicieux, le verbe éloquent, pour évoquer chacun de ces tournages, de ses expériences, de ses voyages qui ont marqué les générations et imprimé nos mémoires de cinéphile. A l’occasion de l’hommage que lui rend le festival Cinessone en programmant deux de ses films les moins aimés et les moins connus, Zardoz et Leo le dernier, rencontre avec un géant.
Cineblogywood : Comment passe-t-on de Sheperton à Hollywood ?
John Boorman : J’ai eu de la chance ! Lee Marvin faisait un film à Londres, Les Douze salopards. Les producteurs lui ont donné le script du Point de non-retour. Lee m’a demandé ce que je pensais du script. Il était très mauvais. Nous étions d’accord sur ce point ! Nous nous sommes rencontrés à plusieurs occasions pour le remanier. Lee venait de gagner un Oscar. Tout le monde était surpris qu’il veuille faire le film avec moi, jeune réalisateur. Quand je suis arrivé à Hollywood, tout le monde était également surpris. La MGM se demandait pourquoi il voulait faire un film aussi stylé ! Or dans son contrat, il était stipulé que le script devait être approuvé par lui, ce qui était le cas. J’ai eu un contrôle total sur le film. J’ai pu faire le film car Hollywood était alors "d’avant-garde" [en français dans le texte, ndlr].
L’autre facteur chance, c’est lorsque j’ai montré un premier montage aux executives, ceux-ci voulaient qu’on retourne certaines scènes. Mais Margareth Booth, the executive editor, [célèbre productrice et monteuse, ndlr] avait un caractère bien trempé et semait la terreur... Elle dit alors aux producteurs : "Moi vivante, jamais vous ne toucherez un seul plan de ce film !" J’ai vraiment eu beaucoup de chance.
Vous aviez une relation privilégiée avec Lee Marvin...
Lee Marvin m’a toujours énormément soutenu. A une occasion, lorsque nous tournions les scènes de Point blank à Alcatraz, je ne savais comment tourner ces scènes de fin, j’avais la pression du studio. Lee est venu vers moi, car il voyait que j’étais perturbé. "As-tu un souci ?" et j’ai dit "Oui, je n’arrive pas à m’en sortir". Il a alors fait semblant d’être saoûl, en marmonnant et titubant comme un ivrogne. La production est venue me voir en disant : "Tu vois où vous en êtes arrivés. Donne-lui du café et essaye de le remettre sur pied". Et grâce à cette diversion, j’ai bénéficié de dix minutes. La pression est retombée et j’ai su clairement ce que j’allais faire. Et Lee s’est miraculeusement et instantanément remis de sa cuite ! Ma plus belle expérience avec un acteur, c’est probablement avec Lee Marvin que je l’ai eue. Il y avait une grande amitié et grande compréhension entre nous.
Que retenez-vous de vos expériences avec les acteurs ?
Un acteur comme Sean Connery a toujours joué lui-même. Il a incarné des rôles bien différents, mais c’est toujours Sean Connery que l’on voit. Lee Marvin, dans Cat Ballou, à la fois un tireur et un ivrogne, c’est la même chose. A l’inverse, Jon Voight ou Brendan Gleeson peuvent complètement se transformer. Mais le public préfère quand les acteurs jouent eux-mêmes. Comme Spencer Tracy ou Gary Cooper. Par exemple, ils n’ont jamais joué avec d’autres accents que le leur. Ironiquement, Sean Connery, avec son accent écossais, a gagné un Oscar en incarnant un flic... irlandais !
Vous avez également fait tourner un acteur a priori étranger à votre univers, Marcello Mastroianni...
Marcello Mastroianni est un acteur extraordinaire. Il peut tout jouer. Un geste, une ligne de dialogue, il se l’approprie. Un très grand acteur. Pour Léo le dernier, son anglais n’était pas très bon. Il venait me voir et me demandait : "Montre-moi", et il le refaisait. Sa méthode était visuelle, comportementale. Il ne s’intéressait jamais aux motivations. C’est comme un Stradivarius. Quoi que vous lui fassiez jouer, il était merveilleux.
Délivrance ou La Forêt d’émeraude, pourriez-vous les tourner aujourd’hui ?
Non, car le contexte est différent. Les studios sont désormais régis comme des multinationales. Les producteurs remplissent les scénarios de tonnes de notes avant de donner leur feu vert. Désormais, tout est fait en fonction du public, pour lui faciliter la tâche. Un jour que je faisais un pitch pour un studio, son directeur me demande : "A quel moment on insère les pubs TV dans le film ?" ! Si on ne pouvait pas le faire, impossible de vendre le film aux TV. L’originalité devient l’ennemie, en quelque sorte... Plus c’est original, plus c’est difficile à communiquer. Mais miraculeusement, chaque année, il y a des films, et des très bons, qui échappent à ce système !
Un exemple, récemment ?
Brooklyn [de John Crowley] avec une très brillante actrice [Saoirse Ronan], avec un sujet un peu old school qui aurait pu être fait dans les années 40, m’a vraiment beaucoup plu.
Et l’attraction des réalisateurs de cinéma pour la TV ? Seriez-vous tenté ?
C’est un événement qui ne date pas d’hier. Ces séries bénéficient de bons budgets de la part de HBO, par exemple. Cela permet de développer une histoire sur de nombreux épisodes. D’une certaine manière, cela se rapproche d’un recueil de nouvelles. Or, pour moi, un film est plus proche d’un poème. Un film, ça sort du cadre, ça condense la narration et les sensations, comme dans un poème. Je préfère le cinéma ! Vous imaginez Terrence Malick tourner une série ? Et puis, je suis trop vieux pour les séries TV !
Vos projets ?
J’ai dit à tout le monde que Queen and Country serait mon dernier film. Mais j’ai encore un film à faire….
Soirée spéciale John Boorman en présence du cinéaste, ce samedi 21 novembre à partir de 18h au cinéma Calypso, à Viry-Châtillon : masterclass, remise de prix, projections de films. plus d'infos sur le site de Cinessonne.
Merci à Stéphane Ribola d’avoir permis cette rencontre.
Travis Bickle
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