mardi 14 juin 2016

John Huston et la littérature : adapter des oeuvres mineures ou méconnues (2/4)


Artistes : Alors que la Cinémathèque consacre une rétrospective à John Huston, nous avons choisi de nous concentrer sur les adaptations littéraires du cinéaste. Aujourd'hui, les grands films tirés d’œuvres mineures, ou mal connues en France.




Le Trésor de la Sierra Madre (The Treasure of the Sierra Madre, 1948)

Deuxième des cinq films qu’il tournera avec Humphrey Bogart, Le Trésor de la Sierra Madre est un roman de B. Traven que Huston caressait d’adapter dès 1936. Arrêtons-nous sur cet auteur, sur lequel on pourrait faire un film. L’initiale de son prénom, d’abord : B signifie selon les sources Bruno, Bernard ou Berick ! Pour certains, il pourrait même s’agir d’un pseudonyme utilisé par Jack London ou Ambrose Pierce. Toujours est-il que Huston demande à le rencontrer au Mexique, mais le rendez-vous n’a pas lieu. Leur correspondance se fera par voie postale. Traven envoie sur le tournage un traducteur, Hal Croves, que Huston soupçonnera n’être qu’une seule et même personne. Chasse au trésor en absurdie, Sierra Madre reste le prototype du film hustonien : course au trésor virile qui se transforme en quête métaphysique, allégorie de l’échec, le tout dépeint avec un mélange d’ironie et d’humanisme propre à John Huston.  Il récolte deux Oscars, et reste un des films préférés du cinéaste, notamment en raison du jeu de son père, Walter : "Un hommage à la perfection, que je n’ai ressenti que devant Challiapine, le pur-sang italien Ribot, Jack Dempsey jeune et Manolette". 





Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950)
L’un des plus beaux films du cinéaste. Dans un univers crépusculaire,  policiers, gangsters et petits malfrats se mettent en quête d’un butin, à l’occasion d’un casse, prétexte à s’échapper de la grisaille du quotidien. Et qui se solde par un échec. En se concentrant sur la galerie de ses personnages, John Huston donne à voir son éthique de cinéaste, qui privilégie les personnages au détriment de l’action – en l’occurrence du hold-up.  Chaque personnage y apparaît humain, trop humain, presque, jusque dans leur égoïsme et leurs monstruosités. D’où une admirable interprétation collective, du premier rôle – Sterling Haydn – à la débutante – Marilyn Monroe – en passant par les plus chevronnés – Louis Calhern, Sam Jaffe. Satisfecit de l’auteur du roman William R. Burnett : "Huston demeura fidèle aux personnages, à l’intrigue et à l’atmosphère". Mais d’ajouter : "Pourtant, je n’ai pas toujours été d’accord avec ce qui a été fait" - manière de signifier combien le cinéaste était à même de s’approprier un univers, tout en lui demeurant fidèle.



La Nuit de l’iguane (The Night of the iguana, 1964)
Ce qu’on retient souvent de cette adaptation poisseuse à souhait de Tennessee Williams, c’est son casting haut de gamme : Richard Burton, Ava Gardner, Deborah Kerr et Sue Lyon dans des rôles archétypaux – le pasteur défroqué, la femme aux multiples conquêtes, la vierge éternelle, l’innocente nymphomane. Et pourtant, en prenant le parti de s’intéresser à la part d’humanité qui se cache derrière ses personnages, Huston livre une très belle réflexion sur l’amour et le pardon, à laquelle Tennessee Williams lui-même contribua directement, notamment en réécrivant certains dialogues.



La Lettre du Kremlin (The Kremlin Letter, 1970)
A partir du roman d’espionnage de Noël Behn qu’il adapte très fidèlement, John Huston livre une vision sans concession du monde contemporain. Tragiques et cyniques, ses personnages n’ont de cesse de se trahir, se mentir, se corrompre. On est très loin de James Bond, qu’il venait juste d’adapter trois ans plus tôt avec Casino Royale, sous une forme parodique. Ici, place à des individus implacables, manipulateurs, cyniques. Passionnant et démythificateur, La Lettre du Kremlin est l’occasion de découvrir une galerie de personnages magistralement interprétés. Mieux qu’un film d’espionnage, un film de John Huston : "Lorsque j’ai lu le livre, j’y ai vu un reflet du climat moral de notre temps".


Fat City (1972)
Le boxeur amateur qu’avait été John Huston ne pouvait qu’être touché par ce roman. Mieux : "J’ai reçu un choc quand j’ai lu pour la première fois le livre de Leonard Gardner". La raison ? Outre le style de l’écrivain, la chronique de la face cachée de la boxe, celle des perdants magnifiques, pour lesquels c’est ça ou une vie de misère à l’usine. Ancrée dans le présent, cette chronique tournée comme un documentaire sur la Côte Ouest sort en même temps que les Cinq pièces faciles de Bob Rafelson, ou Badlands de Terrence Malick, des œuvres-phares du Nouvel Hollywood. Sauf que là, elle vient d’un vétéran. Sobre, humain, ce film sur l’amitié s’achève sur une scène inoubliable. Avec Gens de Dublin, sûrement le livre qui, parce qu’il résonnait si fort et si profondément en John Huston, lui a permis d’accoucher d’un véritable chef d’œuvre.



Le Malin (Wise Blood, 1979)
Cette adaptation du livre de l’écrivain sudiste Flannery O’Connor constitue un nouveau défi pour John Huston. Délaissé par les studios, il se réinvente formellement et artistiquement avec ce qui ressemble à un Fat City dans le Deep south américain, centré sur un prédicateur. A l’origine de son inspiration, "un livre extraordinaire, fascinant. (…) C’est l’histoire, le drame d’un jeune homme qui tente de se révolter". Porté par une galerie de personnages pittoresques, inquiétants et touchants, Le Malin est une peinture sardonique de l’Amérique profonde, de ses charlatans et de ses fanatiques, indémodable, aussi forte et virulente sous la plume de l’écrivain que sous l’œil du cinéaste.



L’Honneur des Prizzi (Prizzi's Honor1985)
D’après Richard Condon, rendu célèbre par Un Crime dans la tête, de John Frankenheimer. Derrière la caricature de la Mafia, tout en restant fidèle à l’intrigue élaborée par Condon, Huston porte un regard cinglant sur l’Amérique reaganienne, gangrénée par la corruption des idéaux et des valeurs. Porté par les réjouissantes compositions de Jack Nicholson, Kathleen Turner et Anjelica Huston, les Prizzi témoigne de la vitalité d’un cinéaste, qui se rappelle là au bon souvenir de la génération du Nouvel Hollywood.



On aurait pu ajouter dans cette rubrique African Queen (1950), d’après CS. Forester, ou Dieu seul le sait (1957), d’après Charles Shaw.

Rendez-vous mercredi pour la troisième partie de notre cycle John Huston et la littérature : les échecs.
Travis Bickle

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