Yeux exorbités et moustache aux pointes dressées en cornes de taureau, baroque ou barge, égocentrique et déconneur, artiste conscient de son talent et de ce qu'il pouvait en tirer, Salvador Dali était un personnage de film de Quentin Dupieux sans le savoir. Disponible en vidéo chez Diaphana, Daaaaaalí ! mérite d'être vu et revu en boucle. Littéralement.
C'est l'histoire d'une boulangère devenue journaliste qui veut interviewer Dali. Enfin, elle n'était pas boulangère. Et quand elle réussit à rencontrer le maître, celui-ci la plante illico car l'entretien n'est pas filmé. Soutenu par un producteur emballé, Judith, qui était pharmacienne, n'aura de cesse d'organiser des interviews avec toujours plus de caméras et une équipe technique toujours plus étoffée sans pour autant parvenir à satisfaire le peintre. Lequel doit se fader le rêve étrange d'un homme d'église et la vision angoissante de lui-même en vieillard inquiétant.
Je ne sais pas pourquoi j'essaie de résumer ce film, sans en dire trop d'ailleurs, car de toute façon, vous savez que vous serez surpris, décontenancé, transporté dans l'univers si personnel de Quentin Dupieux. Un univers surréaliste qui sied parfaitement à l'artiste espagnol. Bien sûr que Daaaaaalí ! est conçu comme une mise en abyme totalement abyssale et en même temps soigneusement subtile. On passe en permanence du rêve à Réalité. Les tableaux du peintre sont évoqués à l'écran par l'intermédiaire d'objets emblématiques de son univers : crâne, oeufs, cannes, horloge, mais pas de montre molle ou d'éléphants aux longues pattes fines. On voit même le maître créer une de ses oeuvres (pas la plus connue) comme s'il reproduisait la réalité. Il y a donc beaucoup de Dali dans ce film, et aussi pas mal de Buñuel et un p(n)eu beaucoup de Dupieux.
Les personnages et les spectateurs sont coincés dans une boucle temporelle qui défile, se rejoue ou se rembobine au rythme d'une ritournelle addictive de Thomas Bangalter. Géniale idée du cinéaste d'avoir confier le rôle de Dali à plusieurs acteurs (six comme le nombre de A dans le titre du film), chacun y apporte une petite nuance de ton, un roulement de R plus ou moins maîtrisé, un pommeau de canne différent, une moustache bien droite ou légèrement frisotante. Pio Marmaï et Gilles Lellouche font le grand écart, Edouard Baer et Jonathan Cohen s'approprient avec gourmandise la folie du peintre. Et puis, il y a Anaïs Demoustier qui pourrait être à Dupieux ce que Gala était à Dali, une muse, une inspiration, l'interprète favorite de son imagination. L'actrice est, comme toujours, formidable : elle oppose nuance et timidité à l'emphase de ses partenaires. Romain Duris est également très bien en producteur tantôt charmeur, tantôt odieux. Le reste du casting nous régale : Marc Fraize, Jérôme Niel, Eric Naggar, Laurent Nicolas, Didier Flamand, Agnès Hurstel...
Pas une faute de goût. Dupieux démontre une nouvelle fois qu'il excelle à diriger ses acteurs autant qu'à mettre en scène sous une simplicité qui n'est qu'apparente des séquences pleines de surprises. Et drôles. Diaphana propose une édition vidéo riche en bonus : un dialogue entre le cinéaste, Baer, Cohen et le public d'une avant-première, un extrait d'un documentaire signé Charles Bosson et un entretien accordé par Dali à la TV française en 1971, dans lequel Denise Glaser ponctue ses questions de cajoleries oratoires pour enjôler l'artiste fantasque qui s'en donne à coeur joie. De quoi dresser nos bacchantes de plaisir.
Anderton
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