vendredi 24 juin 2016

Panique à Needle Park : âpre, cru, implacable


En DVD et Blu-ray : "Rarement cinéaste aura été autant victime du goût de la critique pour les étiquettes, les amalgames superficiels, les appréciations hâtives, snobinardes ou vindicatives", écrivaient Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon à propos de Jerry Schatzberg, en introduction du chapitre qu’ils lui consacrèrent dans 50 ans de cinéma américain. Au visionnage de son deuxième film, Panique à Needle Park, que réédite Carlotta dans une édition prestige, on ne peut que s’en énerver. D’autant qu’il s’intercale dans ce triplé magique, unique dans l’histoire d’un cinéaste, entre Portrait d’une enfant déchue, et L’Epouvantail, Palme d’Or à Cannes 1973. Pourquoi revoir Panique à Needle Park ? 5 raisons !


Pour une certaine idée du cinéma américain des années 70
Bob Rafelson, Arthur Penn, Martin Scorsese, John Cassavetes, Monte Hellman, Hal Ashby, Francis Coppola, autant de noms qui ont marqué cette époque. On oublie trop souvent celui de Jerry Schatzberg. Cet ex-photographe déboule alors à 41 ans sur la planète cinéma et la marque à jamais de son empreinte en 3 films tournés en l’espace de trois ans, aux styles bien différents : Portait d’une enfant déchue (1970), L’Epouvantail (1973). Et donc, Panique à Needle Park (1971). Qui au premier abord est le plus en phase avec le cinéma des années 70 : son goût pour les marginaux, une forme apparemment documentaire, mais très écrite, de nouveaux visages, une méthode d’acting qui emprunte aussi bien à l’improvisation qu’aux techniques théâtrales, pas de musique, un budget dérisoire, le tout sous influence Cassavetes. Ce ne serait que ça, on serait comblé.


Pour son approche naturaliste
Shoots filmés en gros plan, crises de manque, overdose, deals, combines, passes : Jerry Schatzberg montre le quotidien de ce couple de junkies dans une approche quasi documentaire, que souligne l’absence totale de musique. Ainsi que la lumière de son chef op Adam Holender (Macadam Cowboy, c’est lui), sans effets, au plus près du quotidien et des visages blafards. On est ici à l’inverse de la sophistication narrative et esthétique de son premier film, Portrait d’une enfant déchue. Pas de bon vieux rock psychédélique ou de jazz pour enjoliver la lente dérive des personnages ; ou pour donner à la drogue une couleur "cool" qu’on lui associait un peu trop vite à la fin des années 60. Pas de solidarité ou d’héroïsme non plus : les drogués se mouchardent les uns les autres, ne pensent qu’à eux, qu’à leur dose d’héroïne. Dur, direct, implacable.


Pour son côté séminal
Dans ce "parc aux seringues", ce coin du West Side, endroit unique à Manhattan où l’on peut se procurer de la drogue sans avoir à s’aventurer dans Harlem, Bobby et Helen traînent leurs guêtres avec une véracité qui n’a rien à envier au cinéma vérité de Shirley Clarke. Chacun constitue une béquille pour l’autre. Chacun enfonce l’autre toujours davantage dans l’enfer. A partir d’un article de James Mills consacré au microcosme de Needle Park, la romancière Joan Didion a tiré un scénario âpre, cru, violent, sans concession.
Pas de valorisation, ni de jugement moral de la part du réalisateur. Ses gros plans sont là pour mieux signifier la claustrophobie de ses personnages ; ses plans au téléobjectif qui suivent Bobby en quête de came dans les rues de New York, pour mieux souligner sa solitude autodestructrice. D’où des plans implacables, et séminaux qui seront repris par la suite : les seringues qui pénètrent la peau, les yeux hagards et révulsés, un bébé sur le lit de sa mère prostituée, autant de scènes copiées et reprises dans des œuvres plus récentes, de Trainspotting à Requiem for a dream en passant par Drugstore cowboy, Pulp Fiction ou Another day in paradise.

Pour son couple d’acteurs
Pour incarner ce couple de junkies, Jerry Schatzberg fait appel à deux inconnus, issus du théâtre. Venue de la côte Ouest, Kitty Winn, qu’on reverra par la suite dans L’Exorciste et dans son sequel L’Hérétique, décroche le Prix d’interprétation féminine à Cannes en 1971, aux dépens de son partenaire, Al Pacino, dont c’est ici le second film, et sans qui Schatzberg aurait abandonné le tournage. Electrisant, bluffant, vibrant, solaire, ténébreux, conquérant, dans la ville qu’il incarnera plus que quiconque, à 31 ans, Al Pacino y livre une de ses prestations les plus mémorables, qu’on avait peut-être un peu oublié depuis. Sa prestation fut à ce point remarquable que Francis Ford Coppola montra le film à la Paramount afin de convaincre le studio de l’engager pour camper Michael Corleone dans Le Parrain. On connaît la suite...

Pour redécouvrir Jerry Schatzberg
On le sait, Jerry Schatzberg a fait ses armes dans le milieu de la mode, dont il fut l’un des plus célèbres photographes pendant les années 60. Parallèlement, il a longtemps traîné son appareil dans les rues de New York immortalisant scènes de rue et paysages, comme on peut le découvrir dans le livret qui accompagne ce coffret collector : près de 50 photos inédites permettent d’approcher le travail du cinéaste en photographe.
Contrairement à ce que l’on aurait pu redouter de la part d’un photographe de mode, Schatzberg cherche davantage à capter des instants, à saisir les situations et le jeu des comédiens sur le vif, plutôt que de proposer une esthétique soignée ou esthétisante. Le propre d’un cinéaste qui sait davantage mettre son style au service de son récit, comme en témoigne cette formidable passe de 3 unique dans l’histoire du cinéma – Portrait-Panique-Epouvantail – à laquelle on peut ajouter quelques-uns de ses films suivants, La Rue et L’Ami retrouvé.
  
Travis Bickle

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