mardi 23 août 2016

Les Ogres : toujours aussi fort

En DVD et Blu-ray : Si vous l’avez manqué, voici une occasion de vous rattraper et de découvrir cette bourrasque, - pas d’autres mots pour définir ces Ogres, cette fresque atypique, généreuse, débordante, enflammée. Car depuis combien de temps avait-on vu un film français aussi puissant et débridé ? C’est dire la surprise que provoque ce deuxième long métrage, signé Léa Fehner, après Qu’un seul tienne et les autres suivront (2009). Rappel sur quelques temps forts de cette surprise cinéma du premier trimestre, dont nous vous avions parlé ici, qui débarque en DVD-BR chez Pyramide Video.



On the french road 

Premier point : la force et l’originalité du film tient dans son projet même : filmer la route, l’errance d’une troupe de théâtre sur les routes de France. Son quotidien, ses déplacements, ses interrogations, ses joies, ses pleurs, ses engueulades, ses beuveries, ses humiliations, ses matins blêmes, ses nuits sans fin, ses petits moments de bonheurs et de malheurs. Attention : on n’est pas dans le documentaire, mais dans la reconstitution d’un vécu que la cinéaste connaît bien, puisqu’il s’agit de celui de son père et de sa mère, les formidables François Fehner et Marion Bouvarel, à la vie et à la mort. Auxquels s’ajoute la sœur de la cinéaste, dans le rôle de la fille de son père.

Marc Barbé, notre Sam Shepard

Deuxième point : Marc Barbé. Au centre des scènes les plus casse-gueule du film – l’humiliation de la femme du chef de troupe, l’apprentissage de la sodomie (!) à des enfants, le conte du roi et de Monsieur Ego, la confession intime avec son ex-compagne – Marc Barbé irradie le film de mélancolie, avec son regard lessivé et sa gueule mi-ange mi-démon. Enfin le grand rôle qui lui manquait tant depuis son inoubliable et glaçante prestation dans Trois Huit, de Philippe Le Guay.

La France des limbes et de l’utopie

Enfin, avec  une caméra tourbillonnante sans cesse en mouvement, Léa Fehner embrasse d’un seul mouvement la troupe, les spectateurs, les voyageurs, dans une valse sans fin, qui mène le spectateur dans un fabuleux tourbillon de vie et de générosité. Ce qui ne l’empêche pas fortuitement de poser le regard sur la France d’aujourd’hui, sur des lieux peu fréquentés par les cinéastes : une station-service, un terrain vague, une route nationale, un terrain laissé en jachère à l’entrée d’un village de campagne.
Car in fine, c’est bel et bien une magnifique utopie que nous livre Léa Fehner à travers le portrait de cette troupe dans laquelle on s’immiscerait bien. Une utopie portée par un vivre ensemble complexe, qui le temps de 2h24 trop rapides balaye tout sur son passage.

Kusturica, Renoir, Guediguian et Cassavetes

Oui, on pense à Kusturica, notamment pour la vie de forains, et le génial bestiaire qui accompagne les comédiens – des oies, des vaches, un poulet, des poissons dans un aquarium. Pour le côté choral, on pense surtout à Renoir, celui de La Règle du jeu et du Carrosse d’Or. Léa Fehner s’inscrit aussi dans un double sillage : celui d’un Robert Guediguian, par son ambition de remettre au cœur du monde contemporain l’utopie collective ; et surtout, même si le parrainage peut paraître écrasant, celui de Cassavetes, notamment par sa volonté de filmer son cercle le plus proche dans une fiction à la limite du biographique et du documentaire, de la fiction et de la réalité. 

Outre les traditionnelles scènes commentées par la réalisatrice, son chef op et sa co-scénariste, cette édition comprend un livret d’une douzaine de pages sur la genèse de cette oeuvre atypique du cinéma français.  Un beau et riche document dont on aurait souhaité avoir l’équivalent dans les bonus video.

Travis Bickle

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