A lire : Les éditions Séguier ont la bonne idée de rééditer les mémoires d'acteurs aujourd'hui un peu oubliés. Après les souvenirs de David Niven, c'est au tour de celles de George Sanders d'être à nouveau disponibles en librairie. Intitulé Profession fripouille, ce témoignage très drôle révèle une personnalité complexe, dont la vie s'est achevée tragiquement.
George Sanders. Voici un nom qui ne parle plus, en dehors d'un petit cercle de cinéphiles. Sa voix fut celle de Shere Khan dans Le Livre de la Jungle (The Jungle Book, 1967) mais c'est son visage et son physique qui nous disent quelque chose. Cette dégaine flegmatique so british, dans quoi les a-t-on vus déjà ? Pour ma part, je pense spontanément à Quand l'inspecteur s'emmêle (A Shot In The Dark, 1964), de Blake Edwards, ou Le Village des damnés (Village of the Damned, 1960) de Wolf Rilla. Mais c'est surtout Eve (All About Eve, 1950) de Joseph Manckiewicz qui lui apporte la consécration et l'Oscar du meilleur second rôle masculin. Lors de la remise du prix, Sanders monte sur scène, fait une petite courbette et quitte la scène.
Cette cérémonie donne lieu à quelques pages très drôles dans ses Mémoires. D'ailleurs, tout l'ouvrage est empreint d'un humour dévastateur, alimenté par un regard désabusé sur Hollywood et le monde. Tout au long des 200 pages de sa confession, Sanders répète qu'il n'aime rien tant que de ne rien faire. Hors de son lit, la vie est un calvaire. Le métier d'acteur, les tournages aux quatre coins du monde, les parties à Los Angeles, le mariage, les relations sociales en général, tout l'ennuie ou l'indiffère. Cela pourrait être insupportable à lire mais Sanders a beaucoup d'esprit, de culture (qu'il prends soin de ne jamais étaler) et il est doté d'une belle plume.
Vieille canaille
Il va parfois trop loin, notamment lorsqu'il parle des femmes ou des Japonais, mais il semble s'en foutre royalement de passer pour un misogyne ou un raciste. Il est le premier à moquer sa personnalité ou son activité, ce qui n'est certes pas une excuse pour se laisser aller à ces quelques débordements, mais c'est pour dire que rien ni personne n'échappe à sa vision pessimiste du monde.
Incarnation du gentleman anglais, le comédien était né à Saint-Pétersbourg de parents britanniques. Enfin, ce n'est pas si simple, comme l'explique Romain Slocombe dans un épilogue édifiant. Disons que Georges Sanders avait l'âme russe, et tout le vague qui va avec. Cette espèce de jemenfoutisme qu'il affiche en permanence ne l'empêche pas de tenir des propos très justes sur la fragilité de l'artiste ou les excès de la société de consommation. Ici ou là, Sanders fend le smoking et abandonne le cynisme pour exprimer des émotions qui n'en sont que plus touchantes. Paraphrasant la romancière Alice Duer Miller, Sanders écrit : "Dans un monde où la beauté est finie et morte, je n'ai pas le désir de vivre". Prémonitoire. Il se suicidera dans un hôtel près de Barcelone en 1972, en laissant ce mot : "Je m’en vais parce que je m’ennuie. Je sens que j’ai vécu suffisamment longtemps. Je vous abandonne à vos soucis dans cette charmante fosse d’aisance. Bon courage."
La conclusion poignante d'une vie racontée avec beaucoup de style, où nous suivons Georges Sanders traquer les habitudes des fumeurs en Patagonie ; où nous l'écoutons raconter comment il s'est fait plumer par son majordome et son épouse Zsa Zsa Gabor - deux proches restés chers à son coeur ; où nous assistons à ses côtés à des tournages catastrophiques en Espagne, au Japon ou en Italie (Roberto Rossellini en prend pour son grade) ; où nous pleurons avec lui la perte de son ami Tyrone Power lors d'une cérémonie émouvante à laquelle il assiste la braguette grande ouverte. Sacrée fripouille !
Anderton
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