Jacques Audiard poursuit son travail sur la quête d'identité avec Emilia Perez, ovationné et récompensé au Festival de Cannes 2024 et désormais disponible en vidéo. L'occasion de se replonger dans un oeuvre fascinante et d'en découvrir l'original processus de création.
Ce n'est pas spoiler le film que d'en raconter l'histoire. Celle d'un implacable chef de cartel qui décide de mettre fin à ses activités et de devenir une femme. Pour l'assister dans cette transition, le boss mexicain fait appel à une avocate brillante mais qui oeuvre dans l'ombre d'un ténor du barreau. Si elle accepte le contrat, à elle la richesse. A la condition de garder l'affaire secrète, y compris auprès de la femme et des enfants du malfrat.
L'audace d'Audiard
Ce qui frappe tout au long du film, prix du jury à Cannes, c'est son audace. Audace formelle, d'abord. N'en déplaise à certains spectateurs mexicains qui ont critiqué la représentation de leur pays et la faible présence de comédiens locaux en tête d'affiche, le film nous transporte dans un Mexique vibrant, coloré, excessif. Et pourtant, le tournage s'est déroulé intégralement en studios, en Europe. L'opportunité pour Audiard de contrôler totalement l'environnement - et de s'imposer quelques contraintes - pour proposer une vision ultra-stylisée et une mise en scène virtuose. Sa caméra fait exploser les décors et basculer les ambiances lors des séquences chantées et dansées. On perçoit ici un hommage à Bob Fosse, là à Busby Berkeley, mais toujours avec une approche moderne, transgressive, non dénuée d'humour, à l'instar des morceaux composés par Camille et Clément Ducol et de la chorégraphie de Damien Jalet. Le cinéaste est aussi formidablement aidé par Paul Guilhaume (photographie), Virginie Montel (direction artistique et costumes), Emmanuelle Duplay (décors), qui contribuent à créer cet univers qui s'inscrit pleinement dans le réalisme magique popularisé dans les romans des grands auteurs latino-américains.
Audace encore dans le choix de tourner le film en espagnol avec des comédiens aux profils très différents : Zoe Saldaña l'Américano-dominicaine, Karla Sofía Gascón l'Espagnole, Selena Gomez l'Américaine aux lointaines origines mexicaines (mais qui ne parle pas très bien espagnol, cela s'entend dans le film) et Adriana Paz la Mexicaine. Quatre fortes personnalités qui livrent des prestations très émouvantes. Prix d'interprétation féminine collectif à Cannes totalement mérité. N'oublions pas pour autant les interprétations marquantes d'Edgar Ramirez (dont le personnage est l'incarnation de la violence masculine) et de Mark Ivanir dans le rôle du chirurgien.
Identité et transgression
Audace toujours d'un scénario construit autour d'un personnage issu du roman Écoute de Boris Razon. Jacques Audiard brosse les portraits et interrelations de femmes qui se cherchent et finissent par se trouver, affirmant leur indépendance dans un monde machiste. Toutes s'engagent dans une quête de leur identité profonde, au-delà de celle que leur imposent la société et parfois même leur corps, et dans un difficile mais libérateur processus de transformation physique et mental. Aux gros sabots, le cinéaste préfère les pas de danse délicats ou affirmés, sans jamais oublier les enjeux dramatiques ni l'émotion.
Audace enfin d'une démarche artistique que Pathé nous révèle dans deux excellents bonus. L'un présente les coulisses du film, l'autre est un passionnant entretien entre Jacques Audiard et Philippe Rouyer. Le journaliste amène le cinéaste à raconter son process de création et à revenir sur ses thématiques de prédilection. Scénario, chansons, tournage... les étapes semblent se télescoper, en fait elles s'enrichissent mutuellement jusqu'à la fin de la fabrication du film. Pour un résultat exaltant.
Anderton
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire