Je ne sais pas si Grand Corps Malade et Mehdi Idir voyaient déjà Monsieur Aznavour en haut du box-office quand ils l'ont écrit puis réalisé. Leur film a en tout cas séduit le public, avec plus de deux millions d'entrées en salle. La géniale interprétation de Tahar Rahim y est évidemment pour quelque chose, mais pas seulement. La sortie en vidéo donne l'occasion de se (re)plonger dans un biopic réussi.
Aznavour la légende
Avec une telle icône de la culture française, le duo de réalisateurs a trouvé un sujet en or. Ses chansons sont fredonnées de Paris à Tokyo, en passant par New York et Erevan. Il a côtoyé les plus grandes stars de la deuxième moitié du XXe siècle. Son immense capital sympathie repose également sur une ouverture d'esprit, une tolérance et un engagement qui ont suscité l'admiration. Cet enfant d'immigrés arméniens a aussi connu un parcours hors normes, passant des quartiers populaires de Paris aux palaces du monde entier, traversant la guerre et surmontant quelques drames personnels avec une impressionnante force de caractère et quelques traits de personnalité un peu moins glorieux. Un incroyable destin qu'il ne restait plus qu'à condenser en près de 2h15.
GCM et Idir les conteurs
Les réalisateurs avaient obtenu l'aval de Charles himself. Lequel devait faire une apparition dans le film, avant que sa disparition marque un coup d'arrêt au projet. Passée la période du deuil, les enfants de l'artiste ont relancé l'idée du biopic, développé par son gendre Jean-Rachid Kallouche. Résultat : le film nous emporte dans un tourbillon de chansons et de séquences spectaculaires ou émouvantes. Bien sûr, certains tubes n'ont été utilisés que pour le générique de fin (en même temps, difficile de tout caser avec une telle discographie). On regrette aussi que la carrière cinématographique de l'artiste soit rapidement survolée. Et que la face B de sa personnalité soit montrée sans trop d'insistance. Reste que le plaisir est total. Décors, costumes, effets spéciaux contribuent à nous replonger dans plus d'un demi-siècle d'Histoire. La photo de Brecht Goyvaerts est belle, la mise en scène portée par de jolies trouvailles qui permettent au film d'échapper à l'écueil du classicisme.
Rahim le magicien
Evidemment, la prestation de Tahar Rahim est monumentale. Critiques et spectateurs l'ont encensé, avec raison. Alors que le choix du comédien n'avait rien d'évident, il s'est approprié la voix du chanteur (au point d'interpréter lui-même les chansons), sa gestuelle, ses expressions physiques comme verbales. Dès son apparition à l'écran, Rahim fait oublier le vrai Aznavour. Car Aznavour, c'est lui. On y croit. Et on s'attache à ce petit homme qui veut devenir grand, à force de détermination sans failles, de travail acharné, de filouteries et de trahisons aussi. Ses joies deviennent les nôtres, ses chagrins nous cueillent en plein coeur. Quelle interprétation ! Au-delà de la technique et du jeu, Tahar Rahim a su si bien entrer dans la peau de son personnage, certainement parce qu'il partage avec lui une double culture, du talent et de l'intuition, et une impressionnante éthique de travail.
De la même manière qu'Aznavour a su partager l'affiche avec d'autres partenaires tout aussi doués, Rahim ne cannibalise pas le film. Sa performance n'occulte pas celles de ses compagnons de jeu. Marie-Julie Baup s'affranchit de l'ombre de Marion Cotillard pour camper une Edith Piaf gouailleuse et marrante. Gouaille encore avec Bastien Bouillon, lumineux copain de Charles au début de sa carrière. J'ai aussi beaucoup aimé la solide interprétation de Camille Moutawakil, qui prête ses traits et son visage (qui évoque parfois celui de Lady Gaga) à la soeur du chanteur.
J'aurais bien aimé que le générique de fin associe Aznavour et Rahim dans une interprétation de Mes amis, mes amours, mes emmerdes. Peut-être que les réalisateurs y ont pensé mais que Rahim a pudiquement refusé. C'est ce que je veux croire mais cela aurait eu de la gueule.
En bonus de cette édition Pathé, une masterclass au cours de laquelle Grand Corps Malade, Mehdi Idir et Tahar Rahim reviennent sur les tribulations du projet, sa production et le défi pour le comédien d'incarner le chanteur, d'en interpréter les chansons en live pendant le tournage... puis de les réenregistrer plus tard en studio.
Anderton
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire