mercredi 5 décembre 2018

Pupille : trois âmes et un couffin

En salle : Pupille, le second film de Jeanne Herry, s’attaque à un sujet a priori difficile, l’abandon et l’adoption d’un nouveau-né. En s’intéressant aux personnes, assistantes sociales, travailleurs sociaux...qui vont se mobiliser pour le petit Théo, et interprétés avec beaucoup de justesse par Gilles Lellouche et Sandrine Kiberlain, la réalisatrice signe un film émouvant, humain et tout sauf larmoyant. 



Avouons-le, c’est munie d’une réserve de mouchoirs en papier que je suis partie au front du nouveau film de Jeanne Herry, fille de Miou Miou et de Julien Clerc. Pupille, c’est l’histoire de Théo, nouveau-né que sa jeune maman ne veut pas garder, du parcours de sa future mère adoptive, Elodie Bouchez, qui l’attend depuis 8 ans. Première bonne surprise, lesdits mouchoirs sont restés au fond du sac. Car l’histoire et la façon de la filmer de Jeanne Herry sont assez fortes pour ne pas avoir à appuyer sur les points sensibles. Au contraire, la réalisatrice, que l’on a découvert avec Elle l’adore (et déjà Sandrine Kiberlain), préfère la carte de l’humour à celle du pathos. Et on l’en remercie. 

Reprenons le fil de l’histoire. Théo vient de pointer le bout de son nez mais sa maman, dont on ne saura pas grand chose, si ce n’est qu’elle est étudiante et a fini par réaliser que ce qui se passait dans son ventre "ne passerait pas tout seul", est déterminée à le confier à d’autres personnes qui sauront mieux prendre soin de lui. Le propos de Pupille est de mettre en lumière les - nombreuses - personnes qui vont alors se mettre en branle pour trouver la "meilleure solution" pour Théo, dans une forme d’urgence et de sérieux qui n’est pas sans rappeler ceux des professionnels de santé dans le cas d’organes à greffer et que l’on avait pu voir dans le film Réparer les vivants. Ici, il faut que l’enfant accepte la séparation et la future greffe et que la famille, en l'occurence une femme célibataire jouée par Elodie Bouchez, soit le plus compatible possible avec ce bébé. Car, comme le souligne à plusieurs reprises le film, il ne s’agit pas de trouver un bébé à des parents en souffrance, mais les meilleurs parents possibles pour un bébé en difficulté. 


Lellouche aussi drôle qu’émouvant 

Et c’est là qu’entrent en scène une foultitude de gens et de métiers, moins connus que les sages-femmes ou médecins mais tout aussi importants pour la destinée de ces mouflets : assistante sociale -merveilleuse Clothilde Mollet, travailleur social - Sandrine Kiberlain, Olivia Côte, Miou-Miou et assistant familial - incarné ici par le détonnant Gilles Lellouche

Au début de l’histoire, ce dernier est épuisé et échaudé par divers échecs avec des adolescents accueillis chez lui. Il envisage de tout plaquer. Avant que Sandrine Kiberlain, collègue et ex-amoureuse, ne lui propose d’accueillir et de porter, au sens propre et figuré, Théo pendant les deux mois qui sépare son abandon de son adoption. Deuxième bonne surprise de ce film : Gilles Lellouche, excellent en homme kangourou. Paternant et viril, attentif et blagueur, la preuve faite homme que trimbaler un môme en porte-bébé n’enlève rien au sex-appeal du mâle. Mention spéciale à la scène où Jean, le personnage de Gilles Lellouche, renvoie dans ses cordes une sage-femme un peu trop "droite dans ses bottes". C’est le talent de Jeanne Herry : saisir l’époque, les hommes qui changent sans caricature. 

La force de Pupille, au travers du fil rouge de l’adoption de Théo, est de ne pas être dans la démonstration, dans ce qui pourrait être un film réaliste, documentaire, mais de réussir une fiction enlevée, drôle et humaine. Chaque personnage ne se résume pas à son rôle dans le processus d’adoption mais a sa propre vie, ses forces, ses travers, ses emmerdes. Sandrine Kiberlain, aussi douée avec les enfants que ferme avec leurs parents défaillants, traverse une crise personnelle qui lui fait gober des tonnes de bonbons et de chewing gums à longueur de journée. Elodie Bouchez, mère candidate à l’adoption, évolue dans sa vie privée comme dans son travail : elle décrit des pièces de théâtre pour les personnes non voyantes - et fantasme sur l’acteur dont elle décrit les moindres gestes. Réunis autour d’une table pour choisir une famille à Théo, les travailleurs sociaux portent le dossier de leur candidat avec leurs tripes mais rivalisent entre eux de coups bas et de mesquineries... Et tout ça sonne juste. 


Dans ce film chorale, les trois acteurs principaux font mouche : on retrouve avec plaisir une Elodie Bouchez à fleur de peau mais sans jamais trop en faire, Sandrine Kiberlain, jamais aussi bonne que quand elle dérape, sombre dans la mauvaise foi et pète les plombs. C’est le cas ici dans une scène savoureuse au bord d’une falaise devant un Gilles Lellouche ahuri. Gilles Lellouche à qui tout réussit en ce moment, et notamment ce rôle sensible. 

Courez donc voir Pupille et laissez vos mouchoirs au placard. 

Lucie Lacroix

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