samedi 22 décembre 2018

Jean-Jacques Annaud : seins parfaits, copulation tigrée et acteurs engagés (2/2)

A lire : Deuxième partie de notre article consacré à la filmographie de Jean-Jacques Annaud. Le cinéaste revient sur sa carrière dans le livre Une vie pour le cinéma, co-écrit avec Marie-Françoise Leclère et publié par Grasset. Morceaux choisis, vidéos à l'appui.



Dans cet ouvrage, le cinéaste évoque longuement ses tournages épiques, insistant sur le respect apporté aux animaux qu'il a mis en vedette - ours, loups, tigres, éléphants... Il rend des hommages appuyés à ses acteurs (notamment Sean Connery et Brad Pitt), souligne les relations fortes qu'il a entretenues avec ses partenaires de long terme, tels le producteur Claude Berri ou les scénaristes Gérard Brach et Alain Godard. On se rend compte avec lui de l'entreprise que représente la mise en chantier d'un film. On comprend qu'il faut une force incroyable (de conviction comme de caractère) pour mener à bien des projets et imposer sa vision face aux financiers, aux studios, aux ego et parfois même aux éléments déchaînés.

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L'Amant (1992) : triade menaçante et seins parfaits

La première difficulté de cette adaptation, c'est de travailler avec Marguerite Duras. Elle feint de se désintéresser du projet tout en cherchant à le contrôler. Mesquineries, appât du gain, égocentrisme cachent aussi une grande fragilité et une sensibilité à vif de l'écrivaine. Pendant le tournage, Tony Leung a demandé à se rendre aux Philippines pendant quelques jours pour tourner dans un film produit par les triades. "(...) S'il n'y allait pas, on lui mettrait une balle dans le genou avant d'en mettre une dans le ventre de sa femme". Annaud accepte. Quant à la jeune Jane March, elle pleure tous les jours. Elle a beau être formidable, elle n'a pas confiance en elle. Un matin où elle doit tourner une scène dénudée, elle reste enfermée dans sa loge. JJA va la voir : en pleurs, Jane lui dit qu'elle ne trouve pas beaux ses seins et qu'elle a peur de se faire renvoyer. Le cinéaste la rassure mais elle insiste. "(...) Ce qu'elle veut, c'est me montrer ses seins : ils étaient parfaits. Je le lui ai dit, elle a encore pleuré un peu, je lui ai laissé quelques minutes et, quand elle est arrivée sur le plateau, elle s'est dénudée sans la moindre hésitation".


Guillaumet, les ailes du courage (1995) : la réussite à Hollywood

Jean-Jacques Annaud est le premier à réaliser une fiction en Imax 3D. Elle porte sur la survie du pilote Henri Guillaumet, dont l'avion s'est écrasé dans la Cordillère des Andes. En terme de mise en scène, c'est un "changement de grammaire". Le budget colossal est porté par Sony. Le cinéaste bénéficie de toute latitude, au sens propre comme au figuré. Sur les producteurs à Hollywood, JJA livre une analyse finalement nuancée : "Si tu acceptes un film que les studios eux-mêmes méprisent mais pour lequel ils ont besoin d'un label, à la minute où tu signes, tu es carbonisé (...) Le monde des studios est plein de gens qui crânent, roulent des mécaniques et fabriquent des films comme d'autres fabriquent des saucisses. Tous ne sont pas stupides. Souvent, ils ont eu des ambitions plus hautes que le goût de l'argent a étouffées. Déçus, ils compensent avec d'énormes villas où ils s'ennuient. Qu'à ce moment-là tu te présentes avec un projet qui les excite, ils vont se lancer, même s'ils risquent de perdre beaucoup d'argent. Parce qu'ils ont envie d'une expérience de cinéma sincère".


Sept ans au Tibet (1997) : Brad Pitt émouvant et inquiet

Le film raconte l'amitié qui a uni un alpiniste autrichien et le futur Dalaï Lama. Brad Pitt veut interpréter le rôle principal. Lors de son rendez-vous avec Annaud, il déclare : "Je suis ici pour me vendre. Je ne suis pas un très bon acteur mais j'ai l'intention de me donner beaucoup de mal". Annaud découvre "un homme émouvant, inquiet, étonné par sa gloire soudaine, irrité par son image de sex-symbol qu'il veut à tout prix casser, quelqu'un de délicieux que la vacuité de la vie hollywoodienne déconcerte". La production est mouvementée : le projet entre en concurrence avec le Kundun (1997) de Martin Scorsese, le tournage doit être délocalisé en Argentine, où des fans hystériques campent devant le logement de Brad Pitt... Et lors de la sortie, un article révèle que l'alpiniste autrichien était membre du parti nazi.


Stalingrad (2001) : la méthode d'Ed Harris

Formidable film de guerre, dans lequel les séquences impressionnantes avec des centaines de figurants côtoient des scènes de "duels" entre deux snipers, pendant le siège de Stalingrad. JJA est stupéfié par le comportement d'Ed Harris : "Mettons qu'il soit à la feuille de service à 17h. A 8h du matin, il arrive sur le plateau, en costume, avec des bottes qu'il a exigées très étroites. Sans dire un mot, il arpente le décor son arme à la main, un truc qui pèse plusieurs kilos. parfois, il s'assoit et il regarde. Il fait froid, il y a du vent, de la fumée, de la poussière, il prend tout dans la figure et il ne bronche pas. A 17h, quand il se place devant la caméra, il n'y a plus qu'à tourner".



Deux frères (2004) : copulation tigrée

Au départ, Annaud ne veut pas entendre d'un nouveau film avec des animaux. Puis il se laisse convaincre par cette histoire dans laquelle deux jeunes frères tigres sont séparés avant de se retrouver des années plus tard... dans une arène. Le tournage a été l'occasion de filmer une scène rarissime : celle d'une copulation de tigres, une situation impossible à provoquer si la femelle n'est pas disposée aux ébats. Tout se passe dans un studio, spécialement aménagé pour l'occasion, avec en spectatrice interloquée Sabine Azéma, venue d'un studio voisin où elle tourne sous la direction de Resnais ! "Cette scène est exemplaire de notre méthode de tournage : il suffit de bien écouter ce que disent les spécialistes, d'habituer les animaux à certains endroits de façon qu'ils s'y sentent à l'aise et oublient la caméra, en somme de les laisser faire ce que leur instinct ou la nature leur impose, mais dans un cadre préétabli".


Sa Majesté Minor (2007) : gamelle et critiques


Un film maudit, paillard et poétique (oui, j'ai beaucoup aimé !), dernière collaboration entre Annaud et son scénariste Gérard Brach, qui décède avant de découvrir le résultat à l'écran. Un gouffre financier, une "prodigieuse gamelle". Le cinéaste assume, prend sa part de responsabilité, rendant hommage à StudioCanal pour son soutien et à José Garcia pour son engagement. "(...) Qu'on n'aille pas conclure que je ne supporte pas les mauvaises critiques, j'en ai encaissé d'effroyables où l'on me traitait en paria, en crétin venu de la publicité qui collectionnait les succès (...) Je crois que les journalistes, chroniqueurs et échotiers qui écrivent des horreurs sur mes films ou sur moi, en toute sincérité, n'aiment pas ce que je fais ni la personne que je suis. Et alors ? Il faut s'en accommoder".



Or noir (2011) : sans fonds bleus 


Nouvel échec au box-office. Le tournage a été tendu, interrompu par la révolution de jasmin en Tunisie. Annaud encense son casting international et revient sur ses retrouvailles avec James Horner, qui avait accepté de composer la musique du film parce que plus personne ne filmait comme ça : "Tout ce que je vois désormais, ce sont des gens qui se battent sur fond bleu". 




Le Dernier loup (2015) : Annaud chef de meute

Peter Jackson a failli réaliser cette adaptation d'un best-seller chinois. Un film dans lequel JJA nous donne encore à rêver et à réfléchir. Sans calcul, ni cynisme. Avec humanité et sens du spectacle. Lors de la pré-production, le chef de la meute de loups dressés pour le film se soumet immédiatement au cinéaste. Un mystère ! "Dès le premier jour du tournage, un rituel s'est instauré. Je me débarrassais de mes lunettes, je franchissais la barrière électrifiée et j'attendais mes léchouilles du matin. Sans ce préalable, la meute refusait de travailler".



La Vérité sur l'affaire Harry Québert (2018) :

Annaud avait envie depuis longtemps de tenter une "nouvelle expérience" en réalisant une série. Le rythme est soutenu : 81 jours de tournage, contre 120 habituellement pour un film de deux heures. "Nous tournions dans quatre décors différents par jour (...) un plan sur sept nécessitait une deuxième prise. Il m'est même arrivé de filmer la répétition et de la garder (...) [les comédiens] ont apprécié cette méthode".



Et l'avenir ? Jean-Jacques Annaud travaille sur un nouveau projet. On n'en saura pas plus. Il termine son livre en nous donnant rendez-vous : "A bientôt donc. Au cinéma".

Anderton 

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