vendredi 21 décembre 2018

Jean-Jacques Annaud : Oscar, bide et confidences (1/2)

A lire : Jean-Jacques Annaud a fait l'actualité en 2018 avec la série La Vérité sur l'affaire Harry Québert diffusée sur TF1. Une première pour ce cinéaste davantage connu pour ses films tournés en "grand format" (il avait prévenu son producteur Claude Berri que certains plans de L'Ours passeraient mal sur petit écran). Dans Une vie pour le cinéma, ouvrage cosigné avec Marie-Françoise Leclère et publié chez Grasset, Annaud revient sur sa carrière, avec passion et franchise. Retour sur sa filmographie, avec quelques morceaux choisis du livre.



Jean-Jacques Annaud est un cinéaste qui a su toucher le coeur du public en proposant des films d'aventure exaltant l'émotion sur fond de paysages grandioses. Leur beauté formelle, l'apparente simplicité de leur message lui ont souvent valu l'incompréhension, voire le mépris d'une partie de la critique. Je fais partie de ceux qui aiment Jean-Jacques Annaud. Ses films ont accompagné quelques grands moments de ma vie et j'ai d'ailleurs eu l'occasion de lui en parler, un jour alors qu'il venait enregistrer un bonus à TF1 où j'officiais alors à la rédaction internet. L'homme s'est d'ailleurs avéré charmant. 

J'admire chez lui sa passion pour le cinéma hors norme, "bigger than life" tout en restant plein d'émotions et d'humanité. Lui qui est parfois qualifié de réalisateur "animalier" ou bourgeois a touché à tous les genres, souvent pour en dynamiter les codes : il a réinventé le film de guerre (et le western !) avec Stalingrad, révolutionné le cinéma en filmant la préhistoire telle qu'elle aurait pu être (pas de dialogues "modernes", fallait oser !)... Derrière le faiseur de magnifiques plans en Panavision, se cache un anar. Prenons un de ses grands succès : L'Ours. Film familial par excellence. Et bien, comme dans chacun de ses films, Annaud parvient à filmer une mémorable scène de baise ! Et il y insère aussi une scène d'animation (réalisée par des studios tchèques) d'une poésie absolue. 

Sa vie, son oeuvre

Dans Une vie pour le cinéma, Jean-Jacques Annaud se raconte. Et sa vie pourrait faire un film ! D'ailleurs, certaines situations, certains événements trouvent un écho dans son oeuvre : un lourd secret familial qui aurait pu se retrouver dans un livre de Marguerite Duras (dont il adaptera L'Amant), des amours "macroniennes" au collège qui évoquent le dépucelage dans Le Nom de la rose, une coopération en Afrique qui lui donnera l'envie de réaliser La Victoire en chantant...  

Star de la pub

La passion du cinéma, le petit Jean-Jacques l'a eue très tôt. A 11 ans, ses parents lui offrent une caméra et un projecteur. Il intègre l'école de Vaugirard très jeune puis débute dans le monde de la publicité grâce à Jean Mineur. Dans les années 80, il devient l'une des grandes stars de la pub, aux côtés de Ridley Scott, Hugh Hudson et Alan Parker. "La publicité a été pour moi une école magnifique", explique Annaud. Il y apprend l'art de raconter une histoire en 30 secondes, perfectionne sa maîtrise des techniques cinématographiques et des effets spéciaux, découvre comment travailler avec des enfants, des animaux puis des comédiens.


La Victoire en chantant (1976) : un bide et un Oscar

Malgré des cachets faramineux et des multiples récompenses, Annaud en a marre des spots pubs. La dépression pointe. Il envoie tout balader et décide de faire du cinéma. Son premier film est une comédie grinçante qui dénonce l'abjection du colonialisme. A la clé, l'Oscar du meilleur film étranger, pour la Côte d'Ivoire, dont les autorités ont apporté l'essentiel du financement. Le tournage a été épique - ceux de ses autres films le seront tout autant. Malgré des critiques plutôt positives, le film est un "échec fulgurant" : moins de 40.000 spectateurs en deux semaines à l'affiche. "Toutes ces aventures m'ont appris à ne pas incriminer systématiquement distributeurs et exploitants en cas d'échec (...) Lorsque les gens ont envie de voir un film, ils le voient même dans un garage (...) [Son succès] est lié au désir, et ensuite au plaisir qu'il suscite."


Coup de tête (1979) : la pique de Toscan

L'univers d'un petit club de foot dans une ville de province qui sent le moisi, Patrick Dewaere anti-héros magnétique, une belle brochette de "gueules" du cinéma français dans les rôles de notables prêts à toutes les bassesses et compromissions, le thème musical sifflé et l'hymne de Trincamp composés par Pierre Bachelet... Appelé à l'origine Le Hareng, le deuxième film d'Annaud est une comédie devenue culte. Francis Veber est au scénario. C'est la Gaumont qui produit. En signant le contrat, Toscan du Plantier, qui l'a encore mauvaise d'avoir perdu l'Oscar (la France était favorite avec Cousin, cousine), présente Annaud comme "le garçon qui a obtenu un Oscar de façon irrégulière et qui est maintenant employé de la Gaumont".


La Guerre du feu (1981) : la rage de Werner Herzog

Première adaptation d'un roman pour JJA, en l'occurence celui de J.H. Rosny aîné. Un film fou, à l'instar du tournage, pendant lequel notamment des éléphants grimés en mammouths se retrouvent enlisés dans la boue en Ecosse. Première collaboration avec l'acteur Ron Perlman, qui deviendra un de ses bons amis. Plus d'une fois, la production a failli être interrompue, du fait des coûts mais aussi des changements d'organisation à la Fox. Un jour, Sherry Lansing, qui vient d'être nommée patronne du studio, annonce à Annaud l'abandon du projet. Le réalisateur partage alors un bureau à Los Angeles avec Werner Herzog. Fou de rage, ce dernier fait irruption dans le bureau de Lansing, s'empare d'un coupe-papier et hurle : "Connasse, si tu ne fais pas le film de Jean-Jacques, je me fais hara-kiri sur ta belle moquette blanche et j'irai mourir sur ton canapé tout neuf". Le film sera sauvé, même si Annaud devra feindre un évanouissement lors d'un nouveau report de tournage.


Le Nom de la rose (1986) : l'odieux F. Murray Abraham

Annaud raconte souvent comment sa rencontre avec Sean Connery lui fait l'effet d'une révélation. S'il ne tarit pas d'éloges sur l'acteur écossais, il explique comment Michael Caine a intenté un procès aux producteurs pour ne pas avoir obtenu le rôle principal - il a été débouté. Surtout, il évoque F. Murray Abraham, qui s'avère odieux dès le casting : "Je suis venu parce que je veux le rôle que vous avez donné à cet imbécile de Sean Connery". Pendant le tournage,  il est atroce, arrivant en retard, tenant des propos arrogants ou insultants, au point que Connery veut organiser une pétition pour le virer. Revanche d'Annaud, qui après examen du contrat décale la dernière scène de F. Murray Abraham au dernier jour de tournage, ce qui oblige l'acteur à rester sur place, en Allemagne, à ses frais. Le cinéaste lui annonce la nouvelle : "Il me regarde, me fait un grand sourire et il me dit : 'Touché !'Il était content. Un truc de fou".


L'Ours (1988) : le pari de Berri

Claude Berri courtise Annaud depuis l'Oscar de La Victoire en chantant. Le producteur est aussi roublard que généreux. Il décide de produire L'Ours mais la production s'annonce très compliquée et coûteuse. ,JJA raconte que Berri le convoque dans son bureau et lui dit : "'Chéri, j'ai quelque chose de très important à te demander. Regarde-moi dans les yeux et dis-moi la vérité : est-ce que tu es sûr que tu vas y arriver ?' Droit dans les yeux, je lui réponds : 'Non'. Et lui, sans l'ombre d'une hésitation : 'Alors, on y va !'."



Anderton 

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