A lire : Donner envie de voir un film en un visuel, c'est tout l'art ô combien difficile de l'affichiste de cinéma. En général, il colle à l'atmosphère ou l'univers du film - sauf s'il est Polonais - tout en apportant sa touche unique. Yves Thos était l'un de ces artistes largement méconnus, à part des cinéphiles. Un bel ouvrage lui est consacré, aux éditions Deuxième époque : Histoire d'une passion - Yves Thos, affichiste de cinéma.
Les auteurs, Guillaume Boulangé et Christian Rolot, sont allés interviewer Yves Thos, aujourd'hui âgé de 85 ans, qui vit dans le Gard avec son épouse. L'artiste revient sur une sa jeunesse parisienne. Fils d'un couple de Bretons "montés" à la capitale, issu d'un milieu populaire, le petit Yves n'est pas un écolier assidu. Il passe son temps à dessiner, au grand dam de son père. Ce dernier change d'avis quand le directeur d'école lui recommande d'inscrire son fils à une école d'art graphique. Après sa formation académique, Yves Thos rejoint des ateliers où il peint des affiches, d'abord publicitaires puis de cinéma. Il indique avoir appris beaucoup au contact de décorateurs originaires de différents pays européens. Plus tard, il croisera des "maîtres" affichistes comme Jean Mascii ou René Ferracci, avec lequel il se brouillera un an pour une affiche ratée du Cerveau de Gérard Oury.
Stakhanovistes et équilibristes
Le lecteur découvre ainsi le quotidien de ces artisans qui enchaînent les oeuvres sur des toiles immenses, "tendues sur des châssis qu'on ne pouvait manier qu'à plusieurs", se souvient-il. Des toiles qui sont souvent recyclées ; il faut alors les repeindre en blanc avant d'y réaliser de nouvelles illustrations. C'est "la corvée du mercredi". Elles restent ensuite à sécher pour être prêtes pour les sorties de la semaine suivante. Les toiles ont ainsi une durée de vie moyenne de trois ans.
Ensuite, tout est affaire... d'équilibre ! L'affichiste travaille sur des gigantesques échafaudages mais aussi sur des échelles. "Les visages des vedettes représentées étaient si grands qu'il était difficile d'avoir la vision d'ensemble", raconte-t-il. Un travail très physique donc mais quelle fierté de "voir ainsi son travail exposé en énorme sur la plus belle avenue du monde".
Thos se souvient de sa première affiche : Le Général du diable (1956), avec un Curd Jurgens au regard déterminé et aux deux poings fermés. Il en produira une quantité impressionnante - 250 ou 300, lui-même ne s'en souvient plus très bien. D'autant que l'affichiste est amené à réaliser plusieurs versions pour les différents formats : 120x160, 60x80, 40x60 mais aussi parfois 160x240 (en deux panneaux). Son record : une affiche de La Dolce Vita de 5 ou 6 mètres de long ! Pour autant, seulement un peu plus d'une centaine ont été sauvegardées. Les artistes ne pensaient pas à réclamer un exemplaire de leur travail. Et parfois le papier était de mauvaise qualité...
Modèle et Pilote
Sa femme Béatrice lui sert parfois de modèle (pour les poses des actrices à représenter sur la toile). Sinon, Yves Thos essaie d'aller voir le film avant de l'illustrer mais dans la profession, tout le monde n'a pas le temps d'en faire autant. D'ailleurs, tout en se faisant un nom dans le cinéma, Thos participe à l'aventure Pilote ("Mâtin ! Quel journal !"), entre 1962 et 1972. Les couvertures des albums de Bob Morane, Barbe-Rouge et Tanguy et Laverdure, c'est lui !
Pour le grand écran, on lui doit les affiches de plusieurs films de Philippe de Broca : On a volé la cuisse de Jupiter, Les Tribulations d'un Chinois en Chine, L'Homme de Rio ou encore Cartouche, sa préférée. A son tableau de chasse et ses châssis de tableaux : Federico Fellini donc, Sam Peckinpah (Croix de Fer), John Ford (Les Cheyennes), Brigitte Bardot (La Femme et le pantin), Jean-Paul Belmondo (L'Animal), Sophia Loren (Madame Sans Gêne), Kirk Douglas (Spartacus) et beaucoup d'autres... L'aventure prend fin en 1984 avec trois dernières réalisations (Louisiane, Le Prix du danger et Palace). "C'est le cinéma qui m'a quitté", lâche Yves Thos. La photo prend le pas sur le pinceau...
Dans cet ouvrage richement illustré, Boulangé et Rolot signent un bel hommage à un homme qui ne s'est jamais considéré comme un artiste. Yves Thos ouvre sa boîte à souvenirs et à pinceaux, abordant aussi bien les aspects techniques et juridiques de son métier (avec le lent combat pour faire valoir ses droits) que les relations humaines au sein d'un petit club de talents qui rendaient nos avenues plus belles et nous promettaient de grandes émotions à vivre dans les salles obscures.
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