En DVD et Blu-ray : A quoi reconnaît-on un grand cinéaste ? A sa capacité à réaliser un film de genre (en l'occurrence, un film de casse), en lui donnant le rythme et le suspense attendus, tout en développant un discours pertinent - et même prophétique ! - sur notre société. C'est justement ce que Sidney Lumet a réussi haut la main avec Le Gang Anderson (The Anderson Tapes, 1971), qui ressort en vidéo dans une belle version restaurée. En prime, il a relancé la carrière de Sean Connery et lancé celle de Christopher Walken !
Après dix ans derrière les barreaux, John Anderson n'a qu'une envie : refaire un casse. Il faut dire que se retrouver face à un coffret lui fait battre le coeur et gonfler le pantalon. Il va donc obtenir des fonds auprès d'un mafieux new-yorkais puis monte une équipe composée d'ex-taulards et de spécialistes du job. Objectif : dépouiller en quelques heures tous les appartements d'un luxueux immeuble.
Dès la scène d'intro, Sidney Lumet annonce le message qu'il va délivrer tout au long du film. On y voit Anderson (Sean Connery) évoquer ses pulsions dans un écran de télévision. Un témoignage recueilli dans le cadre d'une séance de groupe à la prison. Caméras, appareils photo, micros et enregistreurs divers enregistreront ainsi le parcours du cambrioleur, depuis sa sortie de prison jusqu'au dénouement du récit. Et ce, pas forcément parce qu'il est mis sous surveillance. Mais je n'en dis pas plus.
Prends l'oseille et filme-toi
Le moins qu'on puisse dire, c'est que Lumet a su à plusieurs reprises anticiper l'évolution de la société et de nos moeurs. En témoigne sa plongée dans le monde des médias avec Network (1976). Engagé, le cinéaste l'est résolument ; pour autant, il n'oublie jamais qu'il réalise un film et non une thèse : son implication dans la création d'une oeuvre de divertissement est totale. Avec Le Gang Anderson, il prend un malin plaisir à jouer avec les codes du film de casse : la constitution de l'équipe, les repérages, la préparation du coup et enfin, son exécution... qui ne se passe évidemment pas comme prévu. Le suspense est donc au rendez-vous. Le cinéaste met également beaucoup de sens dans sa mise en scène. Seul reproche : les effets sonores marqués qu'il associe à chaque plan sur un appareil de captation. Les sons de synthé sonnent ringards à nos oreilles actuelles. Pour autant, Quincy Jones signe une formidable partition associant jazz et groove aux sonorités 70s.
L'art de Lumet réside également dans sa capacité à réunir un cast de haut vol. Il y a d'abord le choix de Sean Connery : ce rôle, où il apparaît dégarni, lui permet de sortir de celui de James Bond, qui lui collait à la peau. L'acteur y est - comme d'habitude - magnétique. Il n'y a que lui pour rendre crédible un truand capable d'engueuler un boss de la mafia dans un restaurant italien ! Connery retrouvera Sidney Lumet à plusieurs reprises, notamment dans un film âpre et glauque, le formidable The Offence.
Au générique, un autre acteur qui a souvent joué devant la caméra de Lumet : Martin Balsam. Il incarne ici un antiquaire homosexuel. A son apparition, on craint le pire mais le comédien évite d'incarner un personnage digne de La Cage aux folles pour apporter de la nuance à son rôle. Pour ses débuts au cinéma, Christopher Walken impose une présence et une assurance dont on comprend qu'elles ont tapé dans l'oeil des spectateurs et de la profession. Dyan Cannon joue quant à elle une femme entretenue : elle use de ses attraits physiques tout en donnant du caractère à ce qui n'aurait pu être qu'un rôle mineur. Deux autres interprétations marquantes : celle d'Alan King en boss mafieux loin des clichés du genre et celle de Dick Anthony Williams en membre des Black Panthers qui ne s'en laisse pas compter.
Sidonis-Calysta nous offre le film dans une magnifique version restaurée et l'accompagne de trois excellents entretiens avec Patrick Brion (Monsieur Cinéma), François Guérif (Monsieur Polar) et le regretté Bertrand Tavernier. Le cinéaste revient avec sa passion habituelle sur le film, son réalisateur et les acteurs. Il nous enchante par son savoir, qui n'est jamais écrasant, et par la finesse de son analyse. Tout est clair et brillant. Voilà ce qui rend indispensable la survie du support physique : la possibilité pour le cinéphile de prolonger la vision d'un film par une leçon de cinéma. Et avec un de ses meilleurs connaisseurs et amateurs. Qu'il va nous manquer, Bertrand Tavernier.
Anderton (sans gang)
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