mercredi 1 février 2023

Nope : un grand Yep !

Nope Blu-ray CINEBLOGYWOOD

En Blu-ray et DVD : Jordan Peele continue de marquer de son empreinte le film de genre, tout en questionnant la visibilité, la reconnaissance et l'exploitation des Noirs américains. Il franchit un nouveau cap avec l'excellent Nope, désormais disponible en vidéo.


O.J. Haywood dresse des chevaux pour le cinéma. Il a repris l'écurie familiale, installée dans un coin reculé de Californie, depuis que son père est mort, tué par un objet tombé du ciel. Sa soeur Em l'a rejoint pour tenter de maintenir le business à flot. Il règne une étrange ambiance dans le ranch Haywood. Une présence semble roder, menaçante.

Comme M. Night Shyamalan à son meilleur, Jordan Peele parvient à nous captiver en instaurant une atmosphère mystérieuse et inquiétante, une tension sourde qui atteint des crescendos à en faire dresser les poils sur les bras. D'autant plus fort qu'il le fait sans surjouer les effets, braquant sa caméra sur les montagnes pelées de Californie, écrasées par un immense ciel chargé de nuages. Une banalité qui devient extraordinaire, surnaturelle... Mise en scène, photo signée Hoyte van Hoytema (Interstellar, Dunkerque, Ad Astra), montage et musique de Michael Abels sont au diapason pour créer ce mood particulier.

L'étrangeté de cet environnement, nous le ressentons aussi à travers le regard des personnages. Et là encore, le cinéaste prouve qu'il est un excellent directeur d'acteurs. Faut dire qu'il a fait appel au grand Daniel Kaluuya. Et je ne parle pas de sa taille. Le comédien britannique interprète un homme mutique (le "nope" du titre, c'est lui qui le lâche quand d'autres auraient hurlé à s'en arracher les poumons), plus proche de ses chevaux que de ses congénères humains, sa soeur incluse. Kaluuya fait passer avec un jeu minimaliste mais dense toute la gamme d'émotions qu'exprime O.J. : la perplexité, l'inquiétude, la peur, le désarroi, le courage... Il ancre son personnage dans une réalité tangible. Chaleur, poussière, odeur de cuir. Grand, je vous dis.

Keke Palmer prête son énergie et sa volubilité à Em. La soeur pourrait être presque énervante mais Palmer la rend attachante et, au fil du récit, elle étoffe son personnage, lui conférant une force insoupçonnée. Du lourd, encore, avec Steven Yeun qui incarne Jupe, patron et showman d'un improbable parc d'attraction et survivant d'un drame que Peele va prendre soin de nous révéler en plusieurs étapes, via de longs travellings, qui en accentuent l'horreur. Je ne connaissais pas Brandon Perea (The OA) mais il est top dans le rôle du sidekick un peu barré, un peu dépassé. En revanche, on retrouve avec plaisir deux cadors, dont les gueules inquiétantes nous rappellent de bons souvenirs cinématographiques : Keith David (The Thing, Invasion Los Angeles, Requiem for a Dream) et Michael Wincott (The Crow, Strange Days).

Ambition à la Peele

J'ai évoqué Shyamalan mais l'influence de Rencontres du troisième type est manifeste. Et, dans les bonus de l'édition proposée par Universal Pictures France, Jordan Peele ne s'en cache pas. Les nombreux suppléments sont d'ailleurs passionnants pour découvrir le tournage, le soin accordé aux décors et aux costumes, le travail du Français Guillaume Rocheron sur les effets spéciaux. L'ambition de Nope saute aux yeux, elle est décryptée avec soin dans le Blu-ray et le DVD.

A travers l'horreur et la science-fiction, Peele braque sa caméra sur l'entertainment au sens large, la bizarrerie ou la folie que représente la mise en spectacle. Le tournage d'un film, d'une sitcom et la représentation d'un show n'ont jamais paru aussi inappropriés. Le cinéaste nous force à voir les choses différemment et à revoir notre jugement. Avec beaucoup d'intelligence, il utilise les photos de Muybridge qui décomposent le mouvement d'un cheval au galop, monté par un jockey, pour nous amener à nous interroger sur ce qui devrait sauter aux yeux et qu'on ne voit pourtant pas, comme un nuage dans le ciel. Le jockey est noir. Et de ce galop, l'Histoire a retenu le nom du cheval mais pas celui de son cavalier. O.J. et Em affirment qu'il s'agit de leur ancêtre. Une manière de rappeler que les Noirs ont participé à l'invention du cinéma. Plus qu'un grand discours, un grand film.

Anderton


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