mardi 20 août 2013

Fedora : monstres au soleil


En salles : Un soir, une femme, un train, un cri. En trois plans inauguraux magistraux, Wilder scelle le destin de son héroïne. Tout comme il avait déjà scellé celui de William Holden dans Sunset Boulevard. Pour son avant-dernier film, Billy Wilder revient hanter le Boulevard du Crépuscule. Pour une dernière ballade, un dernier adieu, un dernier coup de pied. 


Car ce qui marque à la vision de ce quasi chef-d'oeuvre, c'est le style Wilder : ironique, mordant, amoureux, respectueux. Alors que les barbus, comme le cinéaste appelait Spielberg, Lucas, Coppola et consorts, venaient de prendre les commandes de Hollywood, le vieux maître se retrouve de nouveau exilé en Europe. Pour livrer non une oeuvre testamentaire ou crépusculaire, mais une sorte de version upgradée de Sunset Boulevard.

Une star, un train, et quelques monstres

Le pitch ? A la mort de Fedora, grande star mythique à la Garbo longtemps retirée des studios dans une maison isolée sur l'île de Corfou, un cinéaste se souvient des dernières approches qu'il fit pour convaincre la star de tourner dans son adaptation d'Anna Karénine. Au fur et à mesure que les souvenirs affleurent, un terrible secret se fait jour...Oui, c'est Sunset Boulevard qui saute aux yeux (utilisation de la voix off, peinture d'une star déchue et du milieu hollywoodien, déconstruction de la machine à rêves...), mais aussi Assurance sur la mort, pour sa maîtrise du suspense, ou Avanti, pour sa peinture d'un pays étranger,

Casting flamboyant

Et quel casting ! Même s'il rêvait d'un duo Faye Dunaway-Marlene Dietrich pour incarner le duo infernal Fedora-Comtesse Sobryanski, Billy Wilder a eu le nez creux pour le faire incarner par Marthe Keller et Hildegard Kneff. Qui ça ?! Marthe Keller, d'abord : comédienne suisse très en vogue en France au début des années 70 – Elle court, elle court, la banlieue, Le Diable par la Queue, Les demoiselles d'Avignon pour la TV – elle venait d'entamer une carrière américaine, avec deux sommets : le thriller Marathon Man, de John Schlesinger avec Dustin Hoffman, et le drame romantique Bobby Deerfield, de Sydney Pollack, avec Al Pacino. 

Avec Fedora, il s'agit pour elle de couronner sa carrière américaine. Quel choix ! Elle s'en tire à merveille, digne d'une.... Faye Dunaway ! Face à elle, donc, Hildegrade Kneff. Cette actrice est une véritable star en Allemagne : de par son effronterie, ses prises de position féministes, son combat pour la chirurgie esthétique et sa lutte contre le cancer, c'est une véritable égérie outre-Rhin. Et qui trouve là un rôle à la hauteur de son talent, digne d'une Simone Signoret. Bien sûr, William Holden, dans son 4ème film avec le cinéaste, reprend un rôle proche de Sunset Boulevard, et assure la narration en voix off. C'est à travers lui que que le spectateur plonge dans les arcanes de cette histoire finalement monstrueuse, de monstres au soleil.

Une oeuvre étrangement somnambulique

Autour d'eux gravite une constellation de personnages incarnés par des acteurs qu'on prend plaisir à retrouver là : José Ferrer (Cyrano, Moulin Rouge, Comédie érotique d'une nuit d'été), dans le rôle d'un médecin énigmatique et qui sombre dans l'alcool ; dans leur propre rôle, Henry Fonda et Michael York, l'un en vieille gloire hollywoodienne, l'autre alors au faîte de sa célébrité, retombée dans les abysses depuis lors ; Mario Adorf (Le Tambour, Lola, une femme allemande), en hôtelier grec plus vrai que nature. 

Et surtout entre la musique de Miklos Rosza, les décors de Trauner et la photographie de Gerry Fisher, Billy Wilder s'est entouré des meilleurs pour livrer une oeuvre étrangement somnambulique, peuplée de monstres, fussent-ils sacrés, néanmoins destructeurs. Et surtout de son fidèle I.A.L. Diamond au scénario. Co-auteur de Certains l'aiment chaud, La Garçonnière ou La vie privée de Sherlock Holmes, on y retrouve sa verve : France et Grèce y sont dépeintes avec la même acidité que l'Italie d'Avanti. Ce qui provoque parfois des ruptures de ton typiques de leur style, et qui évitent au film de tomber dans un passéisme mortiphère, à 1000 lieues de l'esprit de Billy Wilder.

Hollywood entre glamour et cauchemar

Quasiment invisible depuis sa sortie en 1978, Fedora peut enfin être réévalué. Je l'avais vu à sa sortie en septembre 1978. Longtemps hanté par le plan inaugural et par la figure de la Comtesse, je désespérais de pouvoir revoir un jour leurs visages abîmés par le temps. Merci donc à Carlotta d'avoir exhumé cette oeuvre qui devrait s'ajouter à ces films mythiques où Hollywood rêve et cauchemarde Hollywood !

Travis Bickle

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