Il y a des matins comme ça... Apprendre le décès de Michel Blanc, à 72 ans, ça file un sacré coup. Le comédien nous a tant régalés dans des rôles d'emmerdeurs mythos (éternel Jean-Claude Dusse) puis dans des rôles plus graves (Monsieur Hire), où à chaque fois il nous bouleverse par la justesse de ses interprétations. C'était aussi un brillant scénariste qui a réussi à devenir un grand metteur en scène. Pour lui rendre hommage, j'ai envie de revenir sur ses deux premières réalisations : Marche à l'ombre (1988) et Grosse fatigue (1994).
Marche à l'ombre : un nouveau souffle dans la comédie
Au milieu des années 1980, Michel Blanc s'est imposé dans des rôles de losers pathétiques (Les Bronzés, Les Bronzés font du ski) et de chieurs sans gêne (Viens chez moi j'habite chez une copine, Ma femme s'appelle revient). Mais l'homme ne veut pas rester cantonné à ces personnages pourtant appréciés du public. Surtout, au-delà de la comédie et du scénario, il a envie de passer derrière la caméra. Ce sera avec Marche à l'ombre (1984), dont il cosigne le scénario avec Patrick Dewolf. La mue s'effectue en douceur puisqu'il y interprète un pénible digne de ses précédentes compositions. Denis râle, dérape, abuse et pourrit la vie de son compère François, interprété par Gérard Lanvin.
Les dialogues sont très drôles et la dynamique du duo fonctionne à merveille. 6,1 millions de spectateurs applaudissent ce premier film en salle. La réussite du long-métrage tient également à ce qu'il capture l'esprit d'une époque. Nous sommes en 1984, soit deux ans après l'arrivée de la gauche au pouvoir. Les carcans de la société française explosent, les Français ont soif de liberté. Et justement, Denis et François sont deux hommes libres : des musiciens en galère, qui se retrouvent à la rue et finissent dans des squats où ils découvrent d'autres bannis, des immigrés africains tout aussi débrouillards qu'eux et dont la générosité et le talent vont sauver les deux galériens. A ce titre, Marche à l'ombre est une comédie sociale et même politique, mais dont le message n'entrave jamais le souffle de liberté et la drôlerie qu'elle dégage.
Par ailleurs, ce qui surprend, dès les premiers plans, c'est le soin apporté à la photo, confiée à Eduardo Serra. Michel Blanc refuse la facilité de la comédie française tournée comme un téléfilm : il recourt à des focales "à l'américaine" qui contribuent à rendre épique cette histoire. Et se distingue par un sens de la mise en scène qui contribue au dynamisme du film. Pour un premier essai, Blanc tape dans le mille
Grosse fatigue : tout à l'ego
Son deuxième passage derrière la caméra, Michel Blanc l'a longuement mûri, puisqu'il intervient dix ans après la sortie de Marche à l'ombre. L'idée de Grosse fatigue est géniale et complètement originale : chacun des acteurs interprète son propre rôle à l'écran. Encore un scénario enlevé, auquel Jacques Audiard, Josiane Balasko et Bertrand Blier ont également participé. Les situations hilarantes s'enchaînent dans un rythme haletant, ponctuées par des dialogues ciselés.
Là encore, Blanc apporte beaucoup de soin à la mise en scène et à la réalisation de son film (Eduardo Serra en est à nouveau le directeur de la photographie). Il passe de la comédie pure à des moments d'émotion poignants ou grinçants. Et bascule même dans une ambiance fantastique. Grosse fatigue questionne tout autant l'identité que l'impact de la popularité, bien avant l'apparition des réseaux sociaux et la propagation du concept meta. Une fois de plus, Michel Blanc sait nous fait rire, et nous émouvoir, en racontant son époque.
A l'heure où pleuvent les hommages mérités, où ses talents de comédien sont mis en avant de manière totalement justifiée, où ses nombreuses distinctions (César, Molière, prix cannois...) sont rappelées, n'oublions pas le cinéaste Michel Blanc.
Anderton
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