Orson Welles, Ava Gardner, Stan Laurel et Oliver Hardy... quatre talents qui ont durablement marqué le cinéma de leur empreinte, quatre caractères intransigeants sur leur art qui ont dû affronter les studios comme les médias. Trois bons albums de bande dessinée racontent leurs destinées troublées.
Youssef Daoudi : Orson - Welles, l'artiste et son ombre (Delcourt/Mirages)
Réalisateur génial d'un chef-d'oeuvre à l'âge de 25 ans (Citizen Kane, 1940) puis artiste intransigeant, maudit, paria, en guerre permanente contre Hollywood, contre le sort... la carrière et le destin d'Orson Welles sont tellement hors du commun qu'une biographie classique n'aurait pas rendu justice au personnage. Youssef Daoudi l'a bien compris, qui signe un roman graphique à la fois fidèle et original (lire un extrait). Perdu dans un immense sound stage où a été reproduite la colline mythique d'Hollywood, Orson Welles, silhouette massive, verbe haut et franc, balaie tous les qualificatifs à son égard (cf plus haut) avant de nous raconter sa vie comme le scénario de l'ultime film qu'il lui reste à tourner.
De son pinceau vif, avec seulement du noir, du jaune et du blanc, qu'il utilise avec justesse, Daoudi dépeint les succès, les échecs, les errements de Welles, dont l'intelligence et le talent semblent trop imposants pour le monde de l'art. L'auteur cisèle chaque case qui trouve sa place au sein de planches mises en scène avec beaucoup d'inventivité. Il revisite la filmographie de Welles, multipliant clins d'oeil et hommage. Brillant.
Gianluca Buttolo : Laurel et Hardy (Oxymore Editions)
Au début des années 1960, Stan Laurel, alors retiré du cinéma, prenait soin de répondre aux courriers et aux appels qu'il recevait. Aussi, lorsque un jeune garçon le contacte par téléphone pour savoir si c'est bien lui le Laurel du duo Laurel et Hardy, Stan prend le temps de répondre à ses questions. S'ensuivent des rendez-vous téléphoniques fréquents qui offrent l'occasion au comique de se remémorer sa longue carrière mais aussi sa vie.
Grâce à Gianluca Buttolo, on découvre comment Stan le Britannique et Oliver l'Américain ont mis au point leur numéro, qu'ils ont décliné sur les planches comme devant la caméra. Ces deux-là n'ont pas arrêté de se chamailler pour le public et de se battre, en coulisses, pour gagner leur indépendance. L'album nous révèle comment ils ont été exploités et en partie broyés par le système hollywoodien. Enchaînés à des contrats iniques, ils ont dû accepter de tourner dans des navets. Et puis, leur vie sentimentale étant compliquée (surtout celle de Laurel), il fallait bien manger et payer les pensions alimentaires des ex-épouses. Mais même exclus, même punis par les studios, ils ont toujours reçu un accueil chaleureux du public. Conçu en noir et blanc, rehaussé de touches de gris, tel un hommage aux films de l'époque, le roman graphique est traversé par une mélancolie parfois poignante. Ce qui n'empêche pas l'auteur de jouer avec les cases et la composition des planches, usant de la même fantaisie, de la même inventivité que Laurel et Hardy à l'écran.
Ana Miralles et Emilio Ruiz : Ava - Quarante-huit heures dans la vie d'Ava Gardner (Dargaud)
Pour la promotion de La Comtesse aux pieds nus (Joseph L. Mankiewicz, 1954), Ava Gardner se rend à Rio de Janeiro, accompagnée de son agent et de son assistante personnelle. L'actrice est en train de se séparer de Frank Sinatra, elle charrie une réputation détestable. La presse est prête à tout pour obtenir ou créer un scoop, les fans sont hystériques. L'enchanteresse cité carioca va se révéler un enfer.
De facture plus classique que les deux albums précédents, Ava s'avère tout aussi passionnant à lire (découvrez les premières planches). Emilio Ruiz condense sur deux jours le harcèlement dont la star est en permanence victime. Décidée à garder le contrôle de sa vie et à s'affranchir de toutes les pressions, l'actrice est dépeinte comme capricieuse par les médias qui ne lui pardonnent pas sa résistance à leurs demandes incessantes. Un portrait peu flatteur qui sert les intérêts des studios hollywoodiens. Sa beauté affole les hommes, qui en deviennent également agressifs. Le scénariste espagnol décrit une femme consciente du cirque qu'elle provoque malgré elle, il nous fait pénétrer avec sensibilité dans son intimité, révélant toute autant sa force de caractère que ses fragilités. Les thématiques qu'il aborde (les dérives de l'entertainment et de la presse, la violence psychologique et physique exercée sur les femmes) sont d'une brûlante actualité. Son récit évoque au passage le poids de la ségrégation et l'impossibilité d'afficher son homosexualité. Le dessin à la beauté classique d'Ana Miralles, magnifiquement mis en couleurs, nous transporte dans une production hollywoodienne en technicolor. Et comme dans un film de Mankiewicz, cette esthétique colorée n'empêche pas l'explosion des passions et l'émergence de noirceurs enfouies.
Anderton
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